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HISTOIRE DU DROIT CRIMIIVEL
PEUPLES MODERNES
DEPUIS LA CHUTE DE I/EHPIRE R03I4IN JUSQU'AU XIX' SIÈCLE.
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GRENOBLE— IMP.MAISONVILLE,
. RUE DU PALAI».
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HISTOIRE
DU DROIT GRIMIIL
DES
PEUPLES MODERNES
COiSSIDÉRÉ DANS SES RAPPORTS AVEC LES PROGRÈS DE LA CIVILISATION, DEPUIS LA CHUTE 0^ L'EMPIRE ROMAIN JUSQU'AU XIX« SIÈCLE ,
PAR ALBERT DU BOYS,
ANCIEN HAi^STRAT,
POUR FAIRE SUITE A
L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL DES PEUPLES ANCIENS,"
DU MÊMB AUTEUR.
TOME DEUXIEME.
PARIS , AUGUSTE DURAND, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
RUE DES GB&S, 5.
1888. CôMP
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^ââ?a(B3.
Nous devons à nos lecteurs, en commençant ce second volume, une explication raisonnée de la méthode que nous avons suivie et que nous comp- tons suivre encore dans notre Histoire du Droit criminel des peuples modernes.
Dans l'Histoire du Droit criminel des peuples anciens^ nous nous étions tenu assez près du sys- tème de Vico. Ce système s'applique très-bien à l'antiquité, et surtout à l'histoire de l'ancienne Rome ; mais il devient trop étroit pour les peuples chrétiens. L'ère moderne,i^ comme nous allons le montrer tout à l'heure, n'a pas recommencé exac- tement les mêmes phases que l'ère ancienne : on ne saurait donc la faire tourner dans le même cercle.
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2 PRÉFACE.
D'ailleurs, si une vie nouvelle a été accordée aux nations de la terre, ce n'a pas été sans doute pour qu'elles se répétassent constamment les unes les autres. X
t< L'humanité, a dit un ingénieux critique, se « remue beaucoup et avance peu..,.. Elle prend « souvent le galop et n'en fait pas plus de « chemin (1). »
Puis, l'élégant écrivain la compare tour à tour à l'écureuH qui s'agite dans sa cage, au coursier fougueux qui s'élance ventre à terre, pour tourner des heures entières dans un manège, à la planète qui accomplit sans aucune déviation ses révolutions périodiques autour du soleil.
Ces comparaisons de M. de Saint-Marc-Girardin ne sont pas complètement exactes. Sans doute les sociétés humaines reviennent, dans leur marche quasi-circulaire, à peu près à leur point de départ, mais toujours un peu au-dessus. Elles avancent en spirale , a dit Mme de Staël, et cette image, quoique un peu bizarre, exprime avec une vérité saisissante ce qui s'est passé dans le monde, il y a quatorze siècles. Alors, la barbarie fait invasion dans l'empire romain, société vieillie et en déca- dence. Les ruines s'entassent sur les ruines. Les villes et les campagnes sont ravagées par la guerre.
(1) Sain t-Marc-GirardÎD,. Discours d'ouverlure de son cours à la Sorbonne. — Novembre 1853.
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PREFACE. ' 6
la peste et la famine. En moins de deux siècles , Rome tombe de deux à trois millions d'habitants au-dessous de quatre-vingt mille ; quarante-cinq villes sont détruites dans les Gaules, Le tiers, et dans quelques provinces la moitié, de la popula- tion périt; la plus grande partie de ce qui reste est réduite en esclavage. C'est une civilisation tout entière qui descend au tombeau.
A cette époque obscure et lugubre , il semble que rhumanité se renouvelle dans une piscine de sang et de larmes ; elle en sort diminuée , mais rajeunie, et désormais tout autre que dans l'ère ancienne. Elle reçoit le germe d'une vie plus forte, et faite pour se prolonger plus longtemps dans de plus hautes destinées.
C'est qu'au milieu du chaos où l'avaient plongée les fléaux déchaînés par la Providence , un souffle divin résidait en elle , et devait comme la trans- former dans une seconde création. Ce souffle était celui du christianisme, qui, en lui révélant en quelque sorte de nouveaux cieux, semblait lui préparer aussi des terres nouvelles.
Il paraît donc impossible que l'humanité, ainsi rajeunie, soit appelée à suivre absolument les mêmes étapes qui lui avaient été assignées par la Providence , avant la révélation de Jésus-Christ. Aussi , la philosophie de Vico est surtout faussé , en ce qu'elle veut enfermer les sociétés modernes dans les mêmes formules que les sociétés ancien-
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4 PRÉFACE.
nés (1). Ce n'est qu'eu torturant Thistoire , que ce publiciste peut venir à bout de faire quelque illu- sion sur ce point aux lecteurs superficiels.
li'Etat, dont le principe, dans les sociétés mo- dernes, est l'expansion au dehors, n'a rien de commun avec la €ité antique qui préludait par l'isolement à la domination , et qui appelait bar- bare tout ce qui ne reconnaissait pas ses lois.
Un autre principe dérivant de notre constitution religieuse elle-même, c'est la distinction, proclamée par le christianisme, de la souveraineté spirituelle et de la souveraineté temporelle. Il en est résulté qu'il n'a pu exister au sein du moyen-âge , même temporairement, une théocratie complète et héré- ditaire, comme chez les Indiens, les Egyptiens et les Etrusques , ni une subordination entière de la religion et du culte au magistrat civil, comme a Sparte ou à Rome.
Voilà des différences radicales, — et on pourrait ensignaler beaucoup d'autres, — contre lesquelles ne sauraient prévaloir quelques analogies secondai- res , péniblement exhuigées par Vico. Que Hugues Capet fût à la fois comte et abbé de Paris , il ne s'ensuivait pas qu'on lui reconnût une juridiction
(1) On sait que ce publiciste ne reconnaît partout que trois grands âges ou trois grandes périodes historiques : Tâge des dieux, Tâge des héros , rage des hommes ; ou : i^ la période théocratique , 2^ la pé- riode aristocratique, 3^ la période humaine; après quoi revient fata- lement une période de décadence. (Science nouvelle, p. 322.)
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PRÉFACE. 5
spirituelle, en même temps qu'une autorité sé- culière (1). D'ailleurs, les abus de la féodalité, qui avaient amené cette confusion *des pouvoirs, étaient tout à fait accidentels. Ils ne furent jamais acceptés comme d^s principes, et l'Église ne cessa de protester contre ces déviations aux maximes fondamentales sur lesquelles étaient appuyées les constitutions politiques des sociétés moder- nes [2).
L'esprit de système, toujours exclusif et un peu étroit, se révèle encore chez Vico par de petits rapprochements , tels que celui-ci : « Chez les anciens, le héraut qui déclarait la guerre invitait les dieux à quitter les cités , evocabat deos. De même , au moyen- âge , on cherchait toujours à enlever les reliques des cités assiégées (3). »
N'esf-il pas puéril de croire qu'on puisse prou- ver ainsi, par la ressemblance plus ou moins apparente de quelques faits particuliers, l'iden- tité de l'histoire éternelle de Vhumanité (4) ? Sans vouloir montrer ici tout ce qu'il y a de trompeur dans ces analogies extérieures, et toutes à la
(1) Science nouvelle^ Ht. v , ad principiunij p. 372 de la iraduclion française; Paris, Renouard, 1844.
(2) Hugues Gapet lui-même cessa d'être abbé de Paris quand il devint roi : le pouvdh* civil ne tendait donc pas systématiquement à absorber le pouvoir ecclésiastique.
(3) Science nouvelle^ liv. v, ad principium^ 373. C'est une traduction un peu abrégée, mais reproduisant exactement la pensée de Tauleur.
(4) C'est une des formules fondamcnlales de Vico.
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G PRÉFACE.
surface, cherchons une méthode plus sûre, en ap- préciant les institutions modernes sans les rappro- cher des instflutions de Tantiquité païenne.
L'histoire de la civilisation chrétienne ne sau- rait en effet se renfermer dans les quatre phases par lesquelles on peut expliquer l'histoire de la civilisa- tion antique, et ces phases ne peuvent s'exprimer par les mêmes formules.
D'abord, la première de ces civilisations n'avait pas complètement répudié l'héritage de celle qui l'avait devancée; elle en avait curieusement, j'ai presque dit pieusement , conservé les débris. Il y avait toute une tradition littéraire de l'antiquité profane qui se perpétua à l'ombre même des cloî- tres, et à cette tradition se joignait un souvenir confus et respectueux des lois et des institutions de l'empire romain.
Voilà ce qui suffirait pour rendre l'histoire phi- losophique des mœurs et de la législation du moyen-âge plus complexe que celle des "mœurs et de la législation de l'antiquité profane.
Il a dû en résulter aussi que les périodes qui marquent les transformations successives de la civilisation moderne présentent entre elles des lignes de démarcation moins tranchées. Prenons pour type la période même où nous allons entrer ; pourrons-nous la séparer complètement , sous le nom de période aristocratique , de celle qui la précède ? Y a-t-il des rapports intimes et réels
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PRÉFACE, 7
entre les aristocraties de l'antiquité profane et la féodalité du moyen-âge ?
Dès le premier abord, on reconnaît qu'il n'y a aucune ressemblance entre le patriciat romain , par exemple, et cette aristocratie féodale, étroite- ment incorporée au sol, si fortement hiérarchique et admettant à un si haut degré la réciprocité des droits et des devoirs du fort et du faible, du supé- rieur et de l'inférieur.
Cette appréciation se confirme de plus en plus, à mesure qu'on la soumet à un examen plus réfléchi.
Le patrix^iat de Rome, surtout à son origine, fut une oligarchie qui fonda sa puissance politique sur les ruines de la royauté religieuse, en partie em- pruntée à l'Etrurie ; après l'avoir vaincue, il eut l'art de la rendre impopulaire, et ne tarda pas, cependant, à se montrer plus dur qu'elle-même pour la classe des plébéiens. Il s'empara en même temps du pontificat, comme de l'une des préroga- tives de la souveraineté. Cette aristocratie fut donc, complètement exclusive du régime qui l'avait pré- cédée.
L'histoire des institutions du moyen-âge ne pré- sente rien de semblable. Dans l'édifice social de cette époque, Taristocratie féodale forme une hié- rarchie au sommet de laquelle apparaissent, d'un côté, le pape, comme représentant de l'autorité spi- rituelle ; de l'autre, l'empereur ou le roi, comme représentant de l'autorité temporelle. C'est en
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8 PRÉFACE.
quelque sorte une large transaction, dans laquelle les seigneurs féodaux, tout en augmentant leur indépendance, gardent leur rang d'infériorité et reconnaissent toujours le souverain pontife comme le chef des évêques, et le roi, comme le chef des hauts-barons.
Cet ordre de choses, nouveau sans doute à quel- ques égards, faisait donc encore une belle part à la papauté et à la royauté ; nous avons appelé période féodale l'époque pendant laquelle il se constitue ; nous n'aurions pas pu la nommer période aristo- cratique^ dans le sens absolu de ce mot.
IL
Dans notre précédent volume , après la période barbare , on a vu que nous avons placé la période de prépondérance ecclésiastique) il est inutile de répéter pourquoi nous ne l'avons pas appelée période théocratique.
Mais, afin dejustifieret de faire comprendre l'en- semble de notre plan, il est nécessaire d'expliquer comment, pour y être fidèle, nous avons dû parler, dans ce même volume, d'institutions appartenant à des époques rapprochées de la nôtre , et même existant encore aujourd'hui chez des peuples euro- péens.
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PRÉFACE. 9
La raison en est que nous avons voulu faire, avant tout, de la chronologie morale, et que deux peuples contemporains matériellement peuvent se trouver à des âges sociaux très-différents.
Tandis que les Français et les Anglais, par exemple, sont arrivés à une époque de civilisation très-avancée, nous avons trouvé les peuples musul- mans dans une phase semi-barbare et semi-théo- cratique, qui leur a assigné une place à part entre la première et la seconde période des peuples chrétiens. L'expérience des tentatives infructueuses qu'on fait aujourd'hui même pour faire pénétrer les conquêtes de notre civilisation dans un ordre de choses de beaucoup antérieur en chronologie morale à celui où nous sommes entrés nous-mêmes, montre combien est inviolable la loi des initia- tions successives. En voulant la méconnaître , les premières puissances du monde viennent se briser contre une force supérieure aux plus grandes forces humaines
Par un motif analogue, nous avons placé après la seconde période l'appréciation des nationalités slaves les plus avancées , c'est-à-dire des Polonais et surtout des Russes , parce que ces peuples, dans leur âge héroïque , qui est à peine fini , n'ont pas eu de féodalité proprement dite , et qu'ils devaient être mis ainsi en dehors des phases de progrès par lesquelles ont passé les autres nations euro- péennes.
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10 PRÉFACE.
Ainsi , nous avons déblaye le terrain que nous allons parcourir de tout ce qui aurait pu y jeter quelque apparence de désordre. La question de la féodalité est dégagée de tout ce qui n'était pas elle.
La chronologie morale , qui domine notre plan, se trouvera , dans les volumes qui vont suivre, à peu près d'accord avec la chronologie matérielle. Si les pays néo-latins , et particulièrement Tltalie et la France, marchent quelquefois en avant des pays germaniques ou anglo-saxons^ ceux-ci, comme on le verra plus tard , sauront regagner l'avance momentanément perdue ; il y aura une énergique et salutaire émulation entre les princi- paux peuples qui représentent le mieux le type germanique et le type néo-latin , et il arrivera tôt ou tard que ces émules, animés d'une même ar- deur, finiront par marcher d'un pas à peu près égal dans la voie du progrès.
A rage féodal succède presque simultanéfnent, chez ces divers peuples , la renaissance du droit, que favorise l'enseignement de plus en plus répandu du droit canonique et du droit romain ; c'est éga- lement l'époque où tend à se former, à l'aide de la tradition antérieure, un droit coutumier pro- prement dit. Cette élaboration "d'éléments divers, qui devait amener un état constitutif du droit dans l'Europe germanique et néo- latine , est suspendue par le mouvement européen de la pré-
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PRÉFACE. 11
tendue réforme. La réforme introdi^it en toute chose la liberté d'examen, et quoique Cujas ait dit d'elle, au temps où elle cherchait à l'enrôler ^ans son camp : « Nihil hoc ad edictum prœ- loriSj » il n'en est pas moins vrai qu'elle troubla même l'enseigneo^ent du droit et son application aux besoins sociaux de l'époque. On ne pouvait pas faire une législation une , fixe et respectée, au moment où l'autorité du législateur était partout diminuée ou méconnue. Mais ce travail constitutif s'achève dans la paix qui suit les guerres de religion, peut-être avec plus d'esprit de critique qu'on n'aurait pu en espérer auparavant. Cependant les réformes du xvii^ siècle restent en-deçà des exigences d'une opinion publique de plus en plus humaine et éclai- rée ; le philosophisme du siècle suivant se fait l'écho impérieux de ces exigences ; il les exagère même de manière à tout remettre en question , jusqu'aux bases fondamentales de l'ordre public, et bientôt à de nouvelles ruines succédera une nouvelle reconstruction. C'est ainsi qu'après l'épo- que féodale vient une renaissance scientifique, suivie alternativement de deux époques critiques et de deux époques constitutives. Tout cela sera développé avec détail dans les diverses parties de cet ouvrage, et ce n'est qu'alors que ce que nous ne faisons qu'indiquer ici en passant pourra être pleinement compris. On peut cependant entrevoir dès à présent le
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12 PRÉFACE.
plan et les divisions de toute notre Histoire du Droit criminel (1).
La France nous servira toujours de type pouiP nos études sur la législation pénale comparée. Nous ne l'avons pas choisie seulement parce qu'on est porté à prendre pour point de départ son pro- pre pays : il y a eu à ce choix des raisons plus hautes et plus générales.
L'empreinte du gallo-roitaanisme avait été si profonde sur le territoire qu'occupe aujourd'hui la France, qu'il s'y était conservé de nombreux vestiges du mode d'administrer et de gouverner les provinces de l'empire romain.
Ces vestiges n'existaient pas dans la plus grande partie de l'Angleterre et de l'Allemagne.
Au contraire, en Espagne et en Italie, la tradi- tion du droit romain dominait l'influence germa- nique, comme on peut le voir dans le Forum judi- cum^ dans la loi des Lombards, et dans plusieurs autres monuments législatifs.
La France a donc tenu le milieu entre les pays germaniques et les anciens pays latins, par ses institutions comme par sa position géographique.
Elle doit à cet avantage de position, autant qu'à son esprit d'initiative et de propagande intel-
(1) 11 est bien évident que nous n'entendons pas donner ces divisions comme des vérités absolues, mais bien comme des jalons destinés à marquer notre roule.
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PRÉFACE. 13
lectuelle, la grande influence qu'elle a exercée sur les développements de la civilisation moderne.
Cette influence se révèle avec une force et une évidence particulières dans la procédure crimi- nelle et le droit pénal.
Dès le XIII® siècle , la France fait d'admirables efforts pour débrouiller le chaos législatif de cette époque, et pour se mettre, par ses réformes, à la tête du progrès en Europe. Encore aujourd'hui , elle est^ de toutes les nations , celle qui unit le mieux les garanties de l'humanité avec les exi- gences de la répression sociale (1).
(1) Gomme nous devons, dans un ouvrage aussi considérable que le nôtre, feslinare ad evenlum, nous donnerons très-peu de place à ce qu'on a appelé VhUloire externe du droit, c'est-à-dire à l'histoire des documents de droit du moyen-âge. On peut voir sur ce point des dissertations très- savantes et très-claires de Klimrath, d'excellentes préfaces de M. Beugnot, et Y Histoire du Droit français de M. Lafer- rière, qui ne laisse rien à désirer sur ce point. Nous nous servirons de tous ces documents si multipliés et si curieux ; mais nous ne ferons pas de chacun d'eux une monographie détaillée.
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HISTOIRE
DU DROIT CRIMINEL
DES .PEUPLES MODERNES.
LIVRE III.
PÉRIODE FÉODALE.
CHAPITRE P'.
DE LA FÉODALITÉ CONSIDÉRÉE DANS SON SENS PRIMITIF ET DANS SES CARACTÈRES ESSENTIELS.
§1.
Signification et étymologie du mot féodalité,
« A leur origine, dit M. Guizot,en parlant des insti- tutions de TEurope, toutes choses sont à peu près confondues dans une même physionomie ; ce n'est que par le développement successif que la variété se pro- nonce (1)^ » Dans la première partie de cette histoire de la législation criminelle de l'Europe , il a donc été possible de retracer , pour ainsi dire à la fois , toutes les institutions des peuples modernes , parce que leur
(1) Histoire de la civilisatiorif 7"*' leçon, ad finem.
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1 6 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL.
origine et leur souche primitives avaient une identité à peu prè^ complète. Dans la seconde partie, où nous étions exposé à voir se prononcer une plus grande variété à mesure que nous avancions, nous avons senti la nécessité de considérer d'abord séparément un des rameaux européens, pour le comparer aux autres rameaux qui sont sortis du même tronc, et pour montrer les ressemblances et les différences de ces rameaux divers dans la suite de leurs développements.
C'est donc la France qui va attirer maintenant nos regards ; c'est dans son sein que nous étudierons la féodalité , qui a commencé à y marquer son empreinte au moment où les invasions ont cessé et se sont en quelque sorte immobilisées sur le sol. La féodalité y donna, à dater du x* siècle , sa couleur et sa physio- nomie propre à toute l'organisation judiciaire de la nation , ainsi qu'à son droit criminel et pénal.
C'est ce qu'on a dû pressentir déjà en lisant le pre- mier volume de cette histoire. Car il est impossible de compléter le tableau d'une période qui finit sans anti- ciper sur une période qui commence. Les révolutions morales ne s'accomplissent pas à jour et à heure fixes, et elles ne sauraient avoir de date précise comme le changement d'un règne ou la cession d'un territoire.
Cependant , en montrant les origines du fief dans les bénéfices, comme le fief lui-même n'était pas encore constitué, nous n'avons pas eu encore à faire connaître, à proprement parler, ce que c'était que la féodalité.
Pour se rendre raison de la signification de ce mot.
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DES PEUPLES MODERNES. il
dans toute son étendue, il faut d'abord consulter les diverses étymologies qui lui ont été assignées.
Parmi ces étymologies , il n'y en a que deux qui aient survécu : Tune» qui est toute germanique , fait dériver le mot féodalité de ceux-ci : feod ou fehod, fe ou en anglais fee, salaire, récompense, et od, propriété, bien , possession , en vieux langage germanique , mot racine qui n'existe plus dans aucune langue parlée. L'autre étymologie est latine , et donne pour origine à fevdum le mot p,de$ ; elle a pour autorité le grand nom de Cujas. On sait que le latin , aux ix® et x* siècles , était employé dans les actes de tous les pays chré- tiens : en Angleterre comme en Espagne , en Allemagne comme en France.
Il y aurait eu quelque chose de plus noble, pour la société féodale , à s'appuyer sur le principe de la fidé- lité que sur celui du salaire territorial.
Mais on a vu ailleurs (1) quelle fut l'avidité des béné- ficiers et même des grands officiers de la couronne, du v® au vin** siècle, L'étymologie germanique nous semble donc plus en rapport avec la couleur primitive et l'origine des seigneuries féodales.
On traduisit plus tard le mot feod par le mot jides, parce que la langue latine manquait souvent d'expres- sions qui pussent correspondre exactement a certains mots barbares; et, à défaut d'une impossible identité de sens ^ les traducteurs ecclésiastiques, qui rédigeaient
(1) Livre ii, chap. ix.
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18 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
alors les actes et les formules , se laissaient souvent entraîner par des analogies de sons.
Ensuite, comme, pendant et s^rès le x"" siècle, l'as- sociation féodale, qui acheva de se fonder , reposa sur ses obligations réciproques et sur une fidélité mutuelle, le mot jides devint beaucoup moins impropre pour exprimer ce nouvel état de choses ; plus tard, les idées qui pénétrèrent dans les manoirs féodaux prirent une teinte de plus en plus chevaleresque. La fidélité au suzerain fut comme la religion politique d'une partie du moyen-âge. C'est alors qu'on put se persuader que féodalité venait de fides.
§ II.
Origine et nature de Tassociation féodale.
L'association féodale reçut son impulsion générale la plus active et la plus puissante des comtes-magistrats qui voulurent devenir chefs politiques du territoire qu'ils étaient chargés d'administrer. Us se firent reconnaître sur ce territoire le plénum dominium par les nobles et les propriétaires qui y résidaient et qui leur prêtè- rent foi et hommage ; ceux-ci , à leur tour, reçurent des droits fort étendus sur leurs terres, qu'ils déclarèrent posséder à titre de fiefs , et ils s'obligèrent à défendre leurs seigneurs, pendant que les( seigneurs , à leur tour, s'obligeaient à les protéger. D'une telle association na-
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DES PEUPLES MODERNES. 19
quit noù-seulement l'exercice de devoirs réciproques , mais la pratique d'égards muluels.
Cette association , en profitant de la faiblesse de la royauté pour l'amoindrir, se fit pourtant sanctionner par elle, et la proclama sa grande suzeraine ; en dehors de cette sanction royale, elle n'eût été qe'une ligue fac- tieuse et sans consistance : l'esprit public du temps se fût tourné contre elle. Car Charlemagne avait donné à la souveraineté un prestige inouï ; sous ses faibles suc- cesseurs , son ombre suffisait pour la maintenir grande et sacrée aux yeux des peuples , et l'idée de la suppri- mer ou même de s'en passer eût semblé être une profa- nation et un sacrilège.
Maintenant, avant de chercher quels furent les carac- tères de cette association des seigneurs et des nobles entre eux, il faut jeter un coup d'œil sur les rapports nou- veaux que fait naître la féodalité entre les seigneurs ou barons et les classes inférieures. Contre l'opinion géné- rale, nous pensons qu'il en résulta , pour ces classes de la société , une amélioration réelle. Le châtelain et ses serfs se rapprochèrent pour les besoins d'une défense commune. L'un donna aux autres , non-seulement l'ap- pui de son épée , mais Tabri de ses niurailles ; les serfs contractèrent des obligations qui, au lieu de les avilir, ne purent que les relever, en leur donnant droit de porter des armes. C'est à cette époque que furent éta- blis les droits de garde, de guet, de lige-estage, etc. Les droits de garde et de guet n'ont pas besoin d'être expliqués. Quant à c^ux de lige-estage, l'étymologie
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âO HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
du mot peut contribuer à nous éclairer sur leur nature. Estage voulait dire maison, domicile (estaré). Le lige- estage était la transformation en domicile fixe du refuge temporaire que le serf était venu chercher aiï-dedans des murailles de la forteresse du seigneur : par le lige- estage, il s'engageait au moins à y rester pendant la nuit, après avoir vaqué dans les champs à ses travaux du jour. En retour d'une plus grande sûreté personnelle pour lui-même et pour sa famille , il apportait au seigneur le secours éventuel de son bras dans le cas d'une attaque nocturne (1). Presque tous les droits établis à cette époque sont d'une nature analogue {%). Mais ceux qui avaient été transmis à l'époque féodale par les immu- nistes et les comtes du v® siècle, et qui remontaient en partie aux inventions fiscales de l'empire romain en décadence» ne fureut ni atténués ni modifiés. Ce sont les droits que aous rencontrerons le plus souvent sur notre route, puisque la plupart se trouvaient être des annexes ou des dépendances de la Justice et étaient même compris sous le nom générique de jmtitia ou justitiœ.
Après ce coup d'œil jeté sur la nature' du fief, nous
(i) Elàblissementê de saint Louis, Hv. i, chap. 1(3. Voir les noies de Laurière, tom. 1'^ du Recueil des Ordonnances, pag. 145-146. Des terres étaient quelquefois inféodées à titre de lige-estàge. Vestager était le domicilié.
(2) Quelques-uns pburtantsont des espèces de réjouissances bizarres ou de passe-temps grotesques, auxquels on a attaché un caractère de gravité qui en dénature le véritable sens. Il y aurait sur ce sujet tout un ouvrage spécial à faire.
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DES PEUPLES MODERNES. %\
avons à nous occuper des diverses justices, et surtout des hautes justices. Nous verrons ensuite par qui et comment la justice s'exerçait dans les seigneuries , soit ecclésiastiques, soit laïques; nous passerons plus tard à Texamen des crimes et de la pénalité , et nous ferons l'analyse de la procédure usitée à cette époque.
UinsufBisance des sources, surtout aux x'' et xV siècles, rend ce sujet difficile k traiter. On nous pardonnera si, malgré nos efforts, il nous arrivait de nous égarer ou de faire quelque faux pas au milieu des ténèbres de ceUe, époque obscure.
§ m.
Seigneurie directe et Fief.
Les hautes justices doivent être considérées dans leurs rapports : 1^ avec la seigneurie directe, 2** avec le fief.
Qu'est-ce d'abord que la seigneurie directe? << C'est une abstraction , » dit énergiquement Chantereau-Le- febvre.
<i Cette abstraction, suivant cet auteur, se person- nifie en un corps composé du seigneur et de ses vas- saux , lequel corps est appelé cour ou parlement, où les différends et procès sont instruits et jugés , où toutes les affaires concernant le bien commun du seigneur et des vassaux sont traitées et résolues. En conséquence,
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2â HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
les plus notables de ces vassaux sont appelés pares , compagnons , non parce qu'ils sont parfaitement égaux entre eux, mais parce que l'autorité de chacun d'eux est la même dans ce parlement, et qu'en tant que oallective, elle domine celle du seigneur lui-même, qui est obligé de se soumettre à la pluralité des voix ; <( et il doit en a être ainsi, si le seigneur veut que ses vassaux lui « rendent ceux des devoirs et services qui sont contenus « dans leur investiture (1). )>
« La seigneurie directe , dit encore Lefebvre , est une « domination conditionnée , que les hommes ont în- « troduite pour brider les rois et les princes souve- « rains (2). »
Le vieux feudiste trouve ce régime fort mauvais, parce qu'il entraînait une altération du principe de la sou- veraineté. Or, la souveraineté , d'après ses idées , est une puissance absolue qui ne doit subir ni restric- tion ni modification, puisqu'elle vient immédiate- ment de Dieu^ duquel elle est l'image (3). Mais au point de vue du xix* siècle, nous devons peut-être juger un peu autrement une institution qui sauva la société et la nationalité française au moment où elle fut fondée^; . et si elle a introduit des idées de contrôle et de discus- sion dans le gouvernement, si elle a bridé l'autorité des J . rois et des souverains , ce n'est pas à nous qu'il con-
(i) Traité des Fiefs, par GhaDtereau-Lefebvre, liv. !«'•, chap. m, pag. 18-19 et suivantes.
(2) /d., ibid.
(3) Id., ibid,, p. 30.
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viendrait de lui en faire ud reproche , à nous qui nous efforçons, depuis près d'un siècle, de réhabiliter et de restaurer en France le gouvernement représentatif.
Mais ce qui choque nos idées modernes , c'est que ces garanties et ces libertés fussent des privilèges pour les possesseurs de fiefs ou membres de l'association, et que tout ce qui se trouvait en dehors n'eût pas droit au jugement par les pairs. Ceci nous ramène à étudier le caractère de l'association féodale.
Le fief provenait surtout du bénéfice militaire; mais il avait revêtu, en se transformant, un caractère tout différent de celui qu'il avait eu dans l'origine.
La cause ^rmelle^Axx bénéfice, comme disent les jurisconsultes, était la volonté et la libéralité du prince. C'était un salaire territorial. L'acceptation expresse du bénéficier n'était pas nécessaire. Le prince ne contrac- tait envers lui aucune obligation particulière en dehors de ses devoirs communs de souverain.
La constitution du fief était au contraire une espèce
I de contrat et supposait le concours des deux volontés.
I « Le vassal perd son fief, s'il tombe en félonie ; le
seigneur perd sur le fief son droit de seigneurie , s'il
meffait à l'égard de son vassal. y> Telle est la règle
il fondamentale de la féodalité.
L'une des plus grandes obligations du seigneur était de faire bonne justice au vassal^, à qui le déni de justice ou défaute de droit ouvrait un recours devant le suzerain contre son seigneur direct.
Il y a plus : dans notre féodalité française , il était
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24 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
reconnu que le vassal avait le droit de rébellion contre son suzerain supérieur, même contre le roi , si celui-ci lui refusait justice en sa cour.
Ainsi, en 12S0, Thibaut, comte de Champagne, promet de bien et fidèlement servir Philippe-Auguste , roi de France , aïeul de saint Louis , a pendant tout le « temps, dit-il, que lui-même me fera droit dans sa cour « par le jugement de ceux qui peuvent et doivent me « juger (1). »
Saint Louis consacre ce prihcipe dans une de ses ordonnances ; il reconnaît qu'il y a lieu à l'exercice du droit de guerre privée contre le roi lui-même, si le roi a véé sa cort à un sien vassal (2).
Les feudistes qui ont écrit depuis le xiv** siècle se lamentent tous à l'envi sur cette restriction de la puis- sance souveraine. « Un roi , dit Lefebvre , ne pouvait donc châtier son vassal rebelle et désobéissant, qu'il ne l'eût fait appeler en sa cour, qui était composée de ses co-vassaux, dont une partie était souvent dans la com- plicité du crime avec le vassal désobéissant (3). » Les inconvénients contraires , ceux d'un arbitraire absolu et sans garanties pour l'accusé , ne frappent nullement ces jurisconsultes dévoués au pouvoir absolu. Beauma- noir, Pierre de Fontaines et les jurisconsultes qui
(1) Quandiu ipse mihi faeiet rectum curiœ suœ per judicium eorum qui mepossum et debent judicare. {Traité des fiefs de Ch. -Lefebvre; ibid., Preuves, p. 128.)
(2) Ordonnance de 1670, art. 50.
(3) Brusscl, Traité des fiefs, chap. m.
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ont rédigé les Etablissements de saint Louis parlent au contraire de ce droit à la justice et de la sanction qui y est attachée comme d'un privilège digne d'un gen- tilhomme : c'est chose toute simple, dans ces temps d'indépendance individuelle et de mâle liberté.
Maintenant il est nécessaire de préciser comment se limitait la justice féodale : elle n'exerçait sa juridic- tion que sur certaines personnes, sur certains biens immeubles, en certains cas, en certains temps et en certains lieux. Il faut donc soigneusement la distinguer de toutes les au très justices, qui lui étaient juxtaposées, sans avoir rien de commun avec elle.
i IV.
De rinhéreoce de la juslice au fief ou de la séparabllité de Tudc et de Tautre.
Plusieurs feudistes du moyen-âge enseignent que la séparation de la justice et du fief est essentielle, absolue, inhérente à la nature des choses: le fief et la justice sont deux choses distinctes, en fait comme en droite actu et intellectUy comme le dit d'Argentré (1).
Ce principe est tellement dominant- dans une grande partie de la France, que si l'on saisit un fief, et qu'on veuille comprendre la justice dans la saisie, il faut en faire la déclaration expresse, encore que celte justice soit annexée et incorporée à la terre, car ces deux cho-
(1) An. 265 de la CoiUume de Bretagne^ cap. 10, n» 25.
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26 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
ses prises dans leur ensemble sont distinctes, comme deux choses entières, juxtaposées Vune à Vautre, subsistant chacune par soi-même, de telle sorte que la prétérition de Vune d'elles entraîne son exclusion (1 ) . Dans les Etablissements de saint Louis, qui remon- tent au xiii* siècle et qui contiennent la tradition vivante encore des premiers temps de la féodalité, on trouve plusieurs dispositions relatives au Bers (baron) « qui a justice en sa terre : » cela semble prouver qu'il n'en était pas toujours ainsi, et qu'à la possession du fief, même baronnial, n'était pas essentiellement atta- chée la justice. « Et bien avient aucune fois, disent encore « les Etablissements, que li vavasors tendra en la terre « k aucun baron et si sera en autre chastellerie, que en « celé de qui il tendra, et aura la voierie en la justice «^ du baron, en qui chastellerie il sera, et en cette ma- « nière fet l'en bien d'un fié deux hommages, à l'un du « fié et de la terre, et à l'autre de la voïère (2). »
(1) Ut alterum integrum alteri integro... exnaturaqudeprincipalîter et perse stat, cujusque praeteritio exclusionem inducît (Praticiens français cités par Salvaing de Boissieu, de l'Usage des fiefs, p. 270). Mêmes règles posées dans la Coutume de Paris, par Perrière, article 345, no 6, titre v. Dumoulin, titre 1, § 1, gl. i et v, no 44, p. 88. 11 dit : a Juridictio potest per se subsistere, et separari, salva sui substantia a Castro, praediis, et rébus feudalibus, quae poterunt esse unius et juridictio alterius, ut originaliter |decidit Baldus. » — Voir aussi Pontanus, Coutume de B^oi», art. 65, etc., etc.
(2) Etablissements de saint Louis, liv. i, chap. cxi, Recueil des or- donnances, 1. 1 , pag. 200. Les vavasors , comme disent les Etablis- sements de saint Louis, ou les valvassores, comme s'exprime \e Liber feudorum, étaient ceux qui possédaient de simples fiefs avec droit de basse justice. La voière ou voirie était la basse justice. Quand la moyenne justice fut créée , on l'appela grande voirie. Beaumanoir
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DES PEUPLES MODERNES. 27
Le système Fief et justice n'ont rien de commun est encore celui d'un jurisconsulte du temps d'Henri iv, du célèbre Loiseau.
Voici comment il développe ce système : suivant lui, si la question An juridictio adhœreat feudo a été tellement embrouillée, c'est qu'on a confondu cinq éléments très-différents qui entrent dans l'idée consti- tutive de la seigneurie : « le château, le fief, le fonds, le haut-domaine et le territoire (1). »
« La justice a eu le plus souvent pour siège la cour ou le vestibule du château ; mais il est évident qu'elle put être placée ailleurs (2). )>
Relativement au fief, il se voit quelquefois que la justice relève d'un seigneur et le fief d'un autre ; ils peuvent aussi, après avoir été réunis, être séparés, comme quand le vassal vend à l'un sa justice et à l'autre sa terre et seigneurie féodale , ou quand il vend la terre et retient la justice.
dit aussi que dans certaines oslises qu'U énumère, il y a des gentils- homme squî ont toute Justice et seignories. Mais sitôt qu'ils sortent pour aller sur les grands chemins, ils tombent sous la justice du comte de Glermont, et tuit li cas qui avienent sor les voies doivent estre jus- tidé par le conte, (Beaumanoir , Coutume du Beauvoisis^ chap. xxv, art. Yi, édit. Beugnot, pag. 361.) — La haute justice d'une partie de la baronnie ou du comté pouvait donc appartenir à un simple gen- tilhomme; seulement, la police des routes était réservée au suzerain.
(1) Castrumy feodum^ fundus, dominium et territorium.
(%) Au temps où s'établit la féodalité, il faut bien reconnaître que toutes les justices parurent se transformer en justices territoriales. Âui centeniers, par exemple, qui étaient des employés royaux, suc- cédèrent partout des châtelains recevant leur investiture directe d'un baron ou d'un seigneur suzerain. Ce fut alors au château, et non à remployé, que sembla être attachée la juridiction.
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28 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL,
<( Quant à la terre , fundus , si on la vend sans que la justice en soit séparée , on est censé vendre la jus- tice avec elle , et cette présomption est plus impérieuse encore quand on vend la seigneurie elle-même ou le dominium; caria seigneurie ne se conçoit pas vraie et parfaite sans la justice haute, moyenne et basse. )>
Enfin, le territoire étant le district même où s'exerce la justice, elle ne saurait en être séparée, pas plus que V agent du patient. Ce droit de justice, qu'il soit per- sonnel ou réel, ne peut pas rester en l'air. Il faut bien qu'il prenne pied quelque part.
<i Bref, dit Loiseau, la justice est au château comme « en son siège, en la terre comme une annexe attachée à « icelle , au fief comme une dépendance réparable , « en la seigneurie comme une partie inséparable et « suit le territoire comme son corrélatif (1). »
On voit donc que le savant feudiste distingue Vidée féodale de Vidée seigneuriale. Cette distinction, que l'on entrevoyait dès la fin du xvi^ siècle, au moment où se décomposait et tombait en ruines l'édifice féodal du moyen-âge, est importante , féconde et lumineuse. On peut y trouver la solution de beaucoup de difficultés légales et historiques.
(1) Traité des Seigneuries , par Charles Loiseaa, p. 82. On lit plus ioia dans le même ouvrage : « Celui qui est reconnu pour seigneur u censier ou féodal d*un héritage n'en est pas pourtant pour cela « seigneur justicier : car tel a fief, qui n'a pas la justice, et posé (sic) « qu'un seigneur ait justice, il peut avoir plusieurs fiefs hors le terri- <t loire de sa justice, que les livres des fiefs appellent feuda extra i^ cur(em, etc, » [Ihid,, p. 294.)
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DES PEUPLES MODERNES. 29
Cependant d'autres feudistes , soit anciens, soit modernes, ont soutenu d'une manière absolue l'insépa- rabilité originaire du fief et de la justice.
« La naturelle juridiction, dit Bouteillet dans sa « Somme rurale^ est celle que les seigneurs ont par la « dignité de la seigneurie de leurs fiefs et nobles tène- « ments; laquelle juridiction naturelle est patrimo- « niale (1). »
Montesquieu regardait également la justice comme une dépendance naturelle du fief.
Hervé s'exprime à ce sujet d'une manière encore plus explicite : a Le droit de rendre la justice , dit-il , « n'étoit pas , à proprement parler , concédé ; il éloit « transmis avec les terres. Dans les premiers temps, « les serfs passoient de main en main avec la terre, <i comme un accessoire de la terre, et le droit de jus- « tice passoit avec eux aussi de main en main, parce « qu'il étoit inhérent à la culture et k l'exploitation des « terres. Le droit de rendre la justice alors étoit bien « moins un droit qu'un devoir et une charge indis- « pensable de la propriété (2). »
Il y a ici, de la part du savant feudiste, une confusion évidente. Sans doute, outre la justice féodale, il y avait encore une autre justice attachée au fief: c'était la juridiction réelle, foncière et domaniale pour le paie- ment et la conservation des droits du seigneur : cens.
(1) Somme rurale, tir. m, § 3.
(2) Hervé, Théorie des matières féodales f tom. vi, p. 182.,
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30 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
rentes et autres devoirs qui lui étaient dus. Hais, comme le dit Boucbeul dans son Commentaire de la coutume du Poitou, il faut distinguer de cette juridic- tion celle du bas justicier, « pouvant connoitre sur ses a hommes pour actions personnelles, causes d'injures « et autres délits, et ayant sur eux droit de contrainte
« jusqu'à l'amende de 7 sols 6 deniers Qui-
« conque a fief a basse justice foncière dans l'étendue « d'iceluy. Mais au regard de l'autre justice person- « nelle, la maxime ordinaire que Fief et justice « n'ont rien de commun est véritable, et quelque « droit de fief que l'on ait, si l'on n'est pas en a possession de cette basse justice , c'est-à-dire en « l'exercice d'icelle, on ne la peut prétendre sous « prétexte de cet article (1). )>
D'ailleurs, il nous est impossible d'admettre que la justice ou les justices ne fussent pas un droit lucratif plutôt qu'une charge onéreuse, non-seulement aux VII* et VIII'' siècles , mais beaucoup plus tard.
Nous avons montré ailleurs que les mots justifia, jmtitiœ étaient souvent pris pour exprimer l'ensemble des redevances dues aux justiciers, en nature ou en argent (2) ; ils comprenaient même dans leur généralité les droits de péage et certaines prestations en nature.
(1) Boucheul, Commentaire de la coutume, traité des ieigneuriest chap. X, p. 237-8. « Gependaût, si uo seigneur ou un officier chéle- lain connaissait des causes personnelles jusqu'à 60 sols entre lays et roturiers seulement, » cela constituait la basse justice seigneuriale, et non la basse justice foncière.
(2) Histoire du droit criminel des peuples modernes , p. 471.
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Ces droits » qui étaient dans l'origine annexés aux offices, en furent quelquefois détachés « de même que des immunités judiciaires étaient accordées à des béné- ficiers ou propriétaires allodiaux , de sorte que les hommes résidant sur les terres de ces propriétaires ou de ces bénéficiers devenaient leurs justiciables, et leur payaient les frais de justice, ne pouvant pas appeler de leurs sentences, s'ils étaient serfs, et ne pouvant en appeler, s'ils étaient ingénus , qu'au roi, et non au comte (1).
Il faut reconnaître qu'au ix^ siècle, les ducs, les comtes et les seigneurs qui avaient acquis l'hérédité de leurs offices et bénéfices travaillèrent à ressaisir et si concentrer entre leurs mains les droits de justice et autres droits régaliens, aliénés, disséminés et disper- sés en diverses mains par les rois et empereurs des deux premières races. Alors , la tradition germanique, qui rattachait tout à deux grandes idées, la famille et la terre , prévalut sur la tradition romaine.
Si l'esclavage et le servage s'adoucirent, le colonat, dont l'administration romaine avait rendu la condition assez dure , s'empira peut-être encore sous l'influence germanique et barbare, et tous les deux semblèrent se confondre dans la main-morte, qui laissait subsister le j lien entre l'homme et la glèbe. A côté de la loi féodale qui régit l'association des gentils-hons ou hommes libres , il y eut la loi vilaine , qui fut applicable aux
(1) Le Huerou, InslUutîom carolingiennes, lom. v, p. 253.
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32 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
hommes de poesté (de potestatej, serfs ou demi- serfs.
L'illustre historien, Augustin Thierry, dont nous déplo- rons la perte récente^ avait soutenu dans ses premiers écrits que le mouvement qui s'était produit aux il'' etx® siècles avait été anti-germanique et anti-barbare. Nous croyons tout le contraire. Les idées romaines et impéria- les, auxquelles on s'était surtout rattaché depuis Charle- magne , ayant été réputées impuissantes pour sauver la société, par suite de la faiblesse avec laquelle elles avaient été appliquées par Charles le Simple et ses succes- seurs , il y eut une réaction violente en faveur des idées apportées d'outre-Rhin par les derniers conquérants des Gaules. Cette donnée historique prend une consis- tance plus grande encore, quand on lit dans Richer (1) que Robert le Fort , qui sauva Paris et la France de l'invasion des Normands ^^ était le fils d'un Saxon. Les Francs du ix® siècle allaient donc chercher des auxi- liaires au lieu de leur berceau, parmi les compagnons d'armes de leurs ancêtres, et la race capétienne devint l'expression momentanée de cette révolution germanique et anti-romaine (2).
(1) Le manuscrit de Richer, qui a été successivement imprimé dans le recueil de Pertz, Monumenta Germaniœ, puis traduit par les soins de la Société historique de France (2 volumes, M. Raynouard, 1842), contient des renseignements curieux et inédits sur la race capétienne et sur rélection de Hugues Gapet.
(2) Cette opinion est celle du savant M. Varin. Voir sa thèse inti- tulée De Vinfluence des questions de races som les derniers Karolin- giens, (Paris, 1838.)
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DES PEUPLES MODERNES. 33
Mais gardons-nous de croire pour cela que la tradi- tion romaine ait été complètement étouffée. Il resta même en France quelques vestiges de la tradition cel- tique (1). Ces traditions antérieures, où chacun pui- sait ce qui lui était le plus favorable, purent à la fois fournir des armes aux tyrannies seigneuriales et aux libertés locales des populations, surtout des popula- tions urbaines. Si Ton ne tient pas compte de ces élé- ments divers dans l'histoire des institutions du moyen- âge, on risque d'être incomplet, exclusif et systématique. Pour embrasser la vérité tout entière, dans une matière aussi complexe, il ne faut pas craindre d'être largement éclectique : on ne peut expliquer le moyen-âge que par le concours et la convergence de ces divers éléments, auxquels il faut joindre l'élément chrétien, qui servit principalement de mobile au progrès politique et social.
(1) M. Laferrière a cherché à meitre avanl tout cette traditîoa en relief. M. Le Huérou, jeune savant breton, dont la mort a été si regrettable à tous égards, s'attache de préférence à la tradition ger- manique. M. Ghampionnière ne voit dans tout le moyen-âge que la tradition romaine. Il n'y a que des fragments de vérité dans chacun de ces systèmes, trop absolus et trop exclusifs.
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34 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
CHAPITRE IL
DU DOUBLE CARACTÈRE DU SEIGNEUR FÉODAL
AUX X« ET XI'' SIÈCLES.
DIFFÉRENCE DE LA FÉODALITÉ FRANÇAISE ET DE QUELQUES
FÉODALITÉS ÉTRANGÈRES.
1 P'.
La distinction que fait Loiseau entre l'idée de la sei- gneurie et celle du fief est comme un flambeau qui doit éclairer notre marche au milieu des ténèbres du. moyen-âge. Dans le fief et dans l'association féodale , on reconnaît la tradition germanique, à laquelle se mêle un sentiment de fraternité chrétienne.
Aux comités dont parle Tacite, qui devaient se dévouera la guerre pour leur chef (1), et que leur chef devait à son tour protéger et défendre, succèdent, après la conquête , les vassi et les gasindi, Vassus, et par conséquent vassalus , qui en est le diminutif , vien- n«nt de l'allemand gast, convive, hôte; gasindus vient de gesindcy familiers, domestiques. ('/ Toutes les lois germaniques , depuis les lois salique '' et ripuaire jusqu'aux lois anglo-saxonnes, établissent que.
(1) Jam vero infâme inomnem vitam, ac pi^obrosum, superstUem princpiisuo ex acte recessisse (Tac, German.t 14).
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DES PEUPLES MODERNES. 35
si le chef de famille ou seigneur répondait légalement de ses vassaux, il devait aussi les tenir.sous sa sauvegarde, venger leur mort s'il n'avait pu préserver leur vie, et par- ticiper à leur composition pécuniaire comme indemnité des poursuites judiciaires qu'il provoquait contre leur meurtrier. Le savant commentateur de la loi salique, M. Pardessus, fait très-bien connaître la double posi- tion du vassal à l'égard de son seigneur : il était dans sa truste (1), ce qui voulait dire qu'il lui promettait toute la fidélité de Tancien cornes; mais en même temps il était sous son mundeburd (2) , snb mundio, sub verbo, et, à ce titre, le seigneur devait, non-seulemenl défendre la vie de son vassal , mais venger sa mort.
Dans ces temps primitifs , toute articulation œuvre de la bouche était sacrée, et la force de la parole se trouvait attestée par la force de l'action.
En rappelant cet esprit de réciprocité et de solida- rité de la famille germanique, nous avons eu pour but de montrer comment il s'est reproduit avec une teinte plus généreuse encore dans l'association féodale du moyen-âge.
./' Dans la féodalité, l'idée fédérative prévaut sur l'idée patriarcale : le seigneur est surtout un chef militaire.
(1) De là vint le mol anlrusUony qui s'applique spécialement à Thôle, au vassal du roi, in truste régis. Pardessus, Commentaires de la loi salique f p. 488.
(2) Mund, bouche, veut aussi dire en allemand, encore aujourd'hui, tutelle, protection. — Toute cette thèse, que je ne puis qu'indiquer en passant, est fort bien développée par M. Le Huérou, Institut- caro- lingiennes^ tom. II, p. 134 et suivantes.
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36 / HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
C'est avec ce caractère que le mouvement féolal avait commencé dès la fin du ix® siècle. Avec l'assentiment de l'empereur ou du roi , tout homme libre put choisir son seigneur, et tous les propriétaires du royaume purent se grouper ensemble et élire parmi eux le plus puissant, ou plutôt le plus brave, pour marcher à l'en- nemi (1 ) , établir au sein même de leur confédération une sorte de discipline et régler leurs différends en les réunissant en cour des pairs pour se juger les uns les autres. Le senior était donc dux ou commandant pour le combat, et au-dedans de sa mouvance il redevenait primus inter pares envers tous ceux qui lui avaient prêté foi et hommage; il leur devait la justice et la protection par les armes.
En retour , le vassal devait à son haut-baron Vost et la chevauchée (2î); il était obligé d'assister à sa cour, quand il y était convoqué.
11 put rester en dehors de l'association féodale quel- ques hommes libres ; mais il fallut, pour garder leur position personnelle, qu'elle fût prouvée ou confirmée
(1) Voici, entre beaucoup d'autres, deux textes des Gapitulaires de Charles le Chauve : Volumus ut cujuscumque regno sU eum seniore suo in hoslem vel diis suis ulUitalibus pergat. Volumus ut unusquisque homo liber in noslro regno, seniorem quaUm voluerit in nobis et in noslris fidelibus recipiat. (Capitul. Carol. Calv. A. D. 877. Baluze, tom. ii.)
Ces ordonaaaces n'oot certainement pas produit le mouvement, mais elles le constatent.
(2) L'ost était le service requis pour défendre le pays fcontra hos- temji la chevauchée était plus particulièrement instituée pour défendre le seigneur (Làdbièrb, Note sur les Etablissements de saint Louis, liv. I, chap. 61; Recueil des ordonnances, tom. !«''.)
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DES PEUPLES MODERNES. 37
par des titres ; car le servage, aa x* siècle, était de droit commun dans beaucoup de provinces. Les rapports du haut-baron avec ses hommes non engagés dans les liens de la vassalité étaient ceux d'un roi absolu avec ses sujets.
A répoque où les seigneurs s'emparèrent dans les limites de leur territoire d'une autorité vacante et né- cessaire, ils rendirent indirectement un grand service à la société , qui a toujours besoin de justice , et cette prise de possession rencontra l'assentiment de ceux mêmes sur qui elle devait peser.
Mais l'autorité justicière, qui fut souvent exercée avec dureté et qui donna lieu à beaucoup d'exactions, devint peu à peu odieuse et fut confondue avec la féodalité elle-même, qui participa en France de cette impopularité générale.
Les feudistes, soit du parti seigneurial, soit du parti royal, avaient presque tous entretenu l'idée de cette confusion en assignant à ces droits si divers une commune origine. Dans leurs traités de jurisprudence, même lorsqu'ils combattaient le principe de l'insépara- bilité du fief d'avec la justice, ils faisaient dériver l'un et Tautre de l'octroi royal.
Les seigneurs prétendaient que ce qui avait été mis entre leurs mains depuis des siècles ne pouvait pas être scindé , et ils croyaient consolider leurs droits de jus- lice en les appuyant sur le sol.
Les jurisconsultes parlementaires prétendaient que les fiefs et les justices, dus aux concessions de la royauté, devaient peu à peu lui faire retour.
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38 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
II y avait donc, dans rancien régime, deux puissances opposées et en état de lutte, qui croyaient avoir un égal intérêt à déguiser ou à voiler la vérité historique.
Mais quand la dernière liquidation de la société féo- dale fut faite par la révolution française , quoique cette liquidation ait été une véritable banqueroute , il fallut bien porter un peu de lumière dans ces ténèbres ; et puisqu'on avait la prétention de respecter la propriété foncière, il fut nécessaire de rechercher jusqu'où s'éten- daient les droits féodaux, et où commençaient ceux de la propriété..
Ce n'est pas tout : comme les seigneurs possédaient certains droits dits régaliens^ il fallut encore distin- guer ces droits des droits du fief et de la terre , pour savoir quels étaient ceux qui devaient fair^ retour à l'État.
De là, la nécessité de recherches rétrospectives qui n'ont pas seulement un intérêt historique , mais encore un intérêt judiciaire et pratique. (1)
Ce sont ces divers intérêts qui ont servi de stimulants à des travaux immenses , et plus impartiaux que ceux de la fin du moyen-âge , où l'érudition était une arme pour ou contre la féodalité , pour ou contre le pouvoir royal.
(1) Ce sont les historiens et les publicistes de notre siècle qui ont précédé les jurisconsultes dans celte voie; mais les jurisconsultes, avec cet esprit d'affaires si propre à jeter la lumière sur les questions de législation les plus embrouillées, ont achevé le travail que les historiens avaient laissé imparfait.
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DES PEUPLES MODERNES. 39
i II.
L'histoire des pays étrangers a été aussi mieux connue et mieux comprise, et on a pu faire jaillir des points de vue tout nouveaux de l'étude des législations comparées.
C'est ainsi qu'en faisant le parallèle des institutions féodales dans le royaume de Jérusalem et en Angleterre avec les institutions féodales etjusticières telles qu'elles s'étaient produites en France , on y a montré des ditt* rences radicales.
En Angleterre et à Jérusalem, la féodalité fut impor- tée comme un système complet et qui devait comprendre tous les éléments sociaux. En France , les Romains avaient dominé pendant quatre siècles , et ils avaient laissé partout leur empreinte profonde. Les droits fiscaux et justiciers de leurs prœsides , comités et judices , ayant fait partie du butin des premiers Francs, furent une espèce de bagage d'oppression dont la sei- gneurialité française se trouva chargée, du x* au xv!!!** siècle ; et on confondit la seigneurialité avec la féodalité à peu près dissoute depuis le xv"" siècle.
Dans la Grande-Bretagne, dans presque toute la Ger- manie , et surtout dans la Palestine des croisés, il n'y avaitnul vestige d'une administration antérieure savam- ment tyrannique , comme celle des Romains dans les Gaules. La féodalité put donc s'y développer librement,
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40 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
sur un sol où tout était rasé et nivelé ; elle n'eut pas à s'assimiler des éléments hétérogènes , ni à recueillir aucun héritage de despotisme antérieur. Aussi, les institutioiis féodales , qui ont laissé dans nos campagnes des souvenirs si odieux , ont , au contraire , joui d'une sorte de popularité traditionnelle chez nos voisins d'Allemagne et d'Angleterre.
La forme la plus naturelle de l'état féodal était une confédération de princes ayant chacun chez eux la plénitude de la souveraineté, et ne reconnaissant un chef que pour les expéditions guerrières. C'est sous cette f<M*me que se produisit le gouvernement fondé par les Normands dans le xii® siècle enCalabre et en Sicile. Ces seigneurs conquérants élisaient douze comtes et leur donnaient un chef pour le temps de la guerre (1).
En Palestine, la forme de gouvernement fut à peu près semblable; seulement, comme la guerre y était l'état normal, on y eut un chef permanent qui s'appela roi.
L'Allemagne aurait adopté le même régime si elle n'avait pas eu un empereur. Mais encore cet empereur était électif , et plus de trois cents seigneurs; égaux entre eux par le rang et les droits, étaient ses vassaux immé- diats et formaient comme une république de chevaliers. Les empereurs, en s'appuyant sur les traditions de l'empire romain, firent de vains efforts pour rendre l'autorité absolue. La féodalité s'allia avec le Saint-
(1) Histoire des Croisades ^ de Michaud, tome m, page 43.
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DES PEUPLES MODERNES. 41
Siège, pour résister à ces tenl actives de l'ambition impériale.
Ce qu'il y a de remarquable en Allemagne ,* c'est que le romanisme y a été odieux et la féodalité populaire (1 ) .
L'histoire même de l'Angleterre n'a été qu'un perpé- tuel combat entre l'aristocratie féodale et la royauté ; et l'on sait qu'après bien des vicissitudes et des alternatives de revers et de victoires , c'est l'aristocratie , habilement 'i unie aux communes , qui a fini par remporter sur la Ij royauté un triomphe politique qui dure encore. La encore , la féodalité a longtemps joui d'une sorte de popularité relative.
En Aragon, au contraire, où domina au moyen-âge une sifière aristocratie, les rois d'Espagne établirent leur pouvoir absolu par une sorte de conquête et par toutes les violences qui accompagnent d'ordinaire cette transformation d'autorité. Ce fut précisément à l'occasion d'une question judiciaire, d'un conflitde juridiction, que Philippe II abattit l'aristocratie aragonnaise, détruisit ses
(1) M. Guizot en donne une autre raison , c'est que la bande mili- ){ taire et conquérante a établi en France la féodalité, tandis qu'en
i\ Allemagne, les institutions féodales sont sorties du dan ou de la j tribu restée sur le sol. Cette explication a été contestée ]yar la science historique des Allemands. Nous croyons en effet qu'elle est énoncée d^une manière trop générale et trop absolue, et que, dans la vieille I Germanie , certaines populations ont été asservies à d'autres par la \ conquête. Mais la servitude n'a pas le même caractère d'oppression , \ quand les vaincus sont du même sang que les vainqueurs. Là où il y i/ a domination d'une race sur une autre, comme en Hongrie, où les Maggyars réduisirent les Slaves en servage, on a vu aussi des haines séculaires flnir par une effrayante explosion.
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libertés, et abolit ce qui restait dans le pays d'indépen- dance nationale (1).
Dans l'Italie , où la rude domination des Lombards , d'abord ariens et bien plus barbares que les Goths, avait excité d'implacables haines, les fondations des communes et des républiques municipales furent une .réaction du patriciat des villes contre la féodalité des campagnes. Là , on vit les papes s'allier avec les sei- gneurs et les empereurs , palroner et favoriser les répu- bliques : dans cette lutte, où les partis se personnifièrent sous le nom de Guelfes et de Gibelins , il semble que Ut papauté fût souvent entraînée hors de sa voie naturelle, qui était de s'appuyer sur la tradition patricienne et romaine.
En France , le combat de la royauté et de la féodalité eut sa physionomie spéciale. Nos monarques opposèrent habilement à la puissance seigneuriale les communes, la bourgeoisie et les parlements : ils exploitèrent à leur profit l'impopularité qui s'attachait de plus en plus à cette puissance. Toutes les fois que les agents des justices baronniales se livraient à ces exactions , à ces oppressions fiscales dont l'héritage leur avait été trans- mis par les anciens judices de Tempire romain , le malheureux paysan invoquait le nom du roi, et il l'invoquait rarement en vain. Sans doute le jurisconsulte Loiseau obéissait à l'impulsion de la politique royale
(1) Voir l'ouvi-age de M. Mignet intitulé : Antonio Pérez et Phi- lippe IL
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quand il écrivit à la fin du xvi® siècle son violent pamphlet intitulé : De l'abus des justices de village. Après cette lutte séculaire de la race capétienne contre le régime féodal et seigneurial , auquel le dernier coup fut porté en 1789, le peuple français aurait dû séparer dans ses souvenirs deux puissances qui se sont fait une guerre si longue et si implacable : mais il n'en a pas été ainsi , et bien loin de vouer sa reconnaissance à la dynastie qui avait préparé le règne de l'ordre public et de la justice égale pour tous» il a confondu, dans ses préjugés aveugles, ceux qui l'ont émancipé avec ceux qui l'opprimaient.
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CHAPITRE III.
DE LA HAUTE, MOYENNE ET BASSE JUSTICE.
DES NOUVELLES GIRGONSGRIPTIONS JUDICIAIRES SOUS LE REGIME SEIGNEURIAL ET FÉODAL.
i P'.
De la haute justice.
Si Dous avons suffisamment expliqué les deux natures diverses de la justice seigneuriale ou justice justicière, et de la justice féodale proprement dite , il sera aisé de faire comprendre comment la haute justice , se ratta- chant à toutes les personnes dépendant de la seigneurie, se trouva réunie aux mains du seigneur, dans les X* et XI* siècles , et comment , à cette époque , le sou- veraiii ou le roi perdit le dernier ressort.
Sous la première race, un édit de 595 donne déjà le droit de vie et de mort au comte ou à son juge lors- qu'il s'agit de personnes de classe inférieure; il ne réserve la juridiction du palais ou juridiction royale que pour le Franc seul (i).
(1) lia bannivimus ul unmquisque judex criminosum laironem
ligare facial, ila ul si Francus fueril ad noslram prœsenliam diriga- lur, el si okbiliorpersona fuerit in loco pkndatuu. (BhI., 1-19 8).
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Cette distinction de compétence à l'égard des per- sonnes se tronve encore confirmée par les Capitulaires, au commencement du ix® siècle (1).
Or , d'une part , la règle relative aux gens de classe inférieure continua de subsister, et avec encore plus dç force , quand les comtes , sous les derniers Carlovin- giens , se furent rendus indépendants de l'autorité sou- veraine. D'autre part, les milites, vassàliy boni ho- mines, nobiles personœ qui étaient entrés dans l'asso- ciation féodale, ayant admis le jugement parleurs pairs, à charge de réciprocité , avaient par cela même reconnu la compétence de cette cour du fief et renoncé à l'appel en dernier ressort à la cour du palais. S'il y avait çà et là quelques hommes libres, quelques petits propriétaires allodiaux restés en dehors de la féodalité , sans doute ils se seraient encore trouvés , en droit , soumis à la juridiction royale ; mais, en fait , cela n'arriva pas en France (21). Chacun fut en quelque sorte enrôlé de gré ou de force dans les cadres de la société nouvelle. Ceux qui s'y seraient refusés se seraient placés en dehors de tout droit et de toute justice , et cet état violent n'aurait pu durer.
Le haut-baron, dans le x® siècle, ne fit qu'hériter de la juridiction du comte sur les larrons et les malfaiteurs
(1) Ut homines boni generis qui infra comilalum injuste aul inique aguni in prœsenliam régis ducanlur. (Capitul. de 81^ ; Baliize, 1- 509-12.)
(2) On verra plus loia qu'il n'en fut pas de même en Allemagne et parliculièrement en Westphâlie.
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de la classe inférieure (1) ; il les jugeait suivant ce qu'on a appelé la loi yiUine ou les anciennes coutumes (antiquas consuetudinesj. Mais comme il était le seul justicier qui interprétât la loi , c'est lui qui avait le plus contribué à créer la coutume judiciaire ou pénale, sur laquelle lui-même ou ses successeurs s'appuyaient ensuite. Cette coutume pouvait donc naître d'une suite d'abus répétés et longuement pratiqués.
Quant à la justice féodale, son caractère la rattachait plus intimement au fief. Mais quoique ces deux juridictions pussent avoir, in sensu, comme dit d'Afgentré, leurs com- pétences, leurs justiciables et leurs territoires distincts et séparés, il paraît certain que dans lex® siècle presque tous les seigneurs féodaux furent en même temps seigneurs justiciers et exercèrent à la fois ces deux justices (2)'. "
(1) La troisième récidive d'un vol était punie de mort par le comte: « Siquislatro de uno furto probatus fuerit, perdat oculum; et si de « duobus furtis probalus fuerit , nasus ei scapelletur ; et si de tribus « furtis probatus fuerit, moriatur. » (Baluz., Excerpl, e kg* longo- bardica, 8, i, 350 (a). D'après le capitulaire sur les Espagnols établis en Guyenne, Louis le Débonnaire réservait au comte le jugement de tous les crimes graves « sicut sunt homicidia, raptus, incendia deprae- « dationestjnembrorumamputationes, furta, latrocinia. »(Ann. 816; Bal., 1-570).
(1) La justice pouvait être annexée à une terre qui n'était pas un fief, à un franc-alleu , par exemple (6). Elle pouvait subsister d^eUe- même et n'être annexée à aucune terre, et c'est ce qui arriva souvent après le XIII» siècle; mais la justice était toujours elle-même un fief: on n'admettait pas qu'elle pût avoir un autre caractère. (Du Moulin, Commentaires sur Vart, 46 de [a coutume de Paris, et Loiseau, Traité des seigneuries, p. 76.)
(a) On retrouve une gradation semblable dans les Etablissements de saint LouiSy comme on le verra plus tard. (^) 11 est vrai qae, dans ce cas, le franc-allen devenait terre noble.
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En principe, le justicier pouvait siéger seul (1) quand il jugeait ses vilains, et il n'avait de compte à rendre à personne de ses sentences. On connaît à ce sujet le vieil axiome de nos coutumes : « Entre toi, seigneur, et « ton vilain, il n'y a de juge fors Dieu. » On appelait la haute justice plaid de la mort, plaid de Tépée et de la mutilation des membres (2). Souvent, pour exprimer que la justice s'étendait à tout, on se servait des mots do haute et basse (3).
Quiconque avait la haute justice en sa terre, même n'étant que ce qu'on appelait médiocre seigneur, y jugeait à mort sans appel. Brussel en donne des preu- ves remarquables (4).
Un de nos vieux praticiens, fidèle écho des traditions antérieures, détaille ainsi les cas et attributs de la haute justice. <i Cas de haute justice , dit-il , et des- « quels la connoissance appartient tant seulement as « haux-justiciers sont rapt, traisner, pendre, ardoir, « enfouir, escorcher, testes tailler, et tous autres par « lesquels mort naturelle s'en suit. Item , couper
(1) Mais, en fait, comme nous le verrons ailleurs, il se faisait tou- jours assister, même pour juger des hosies ou vilains^ d'un certain nombre de chevaliers et de prud'hommes.
(2) Magna justUia, quœ vocalur placilum ensis. (Ducange, Glossa- rium, tom. v, p. 525.) En voici un autre exemple : Placilum ensis, placitum mortis , mulilalionis membrorum , elc. Placitum ensis seu alta justitia.
(2) Quœ quatuor foris facta {furlum , homlcidium , raptus el adul- lerium) haut et bas, ad noslram rémanent volunlaUm. (Ducange, Glossar., verbo aZfa ou altœ.)
(4) Usage des fiefs, tom. i, p. 221.
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« oreille ou autres membres, bannir, prendre épaves, « lever morts trouvés, à aubenage succéder. Item, « connoistre des fausses mesures et denrées de petit a pain, despecier mesures ou ardoir, ou autres fausses « denrées, des voiries, des ormes et des autres arbres <i qui sont es chemins et abonnemens des chemins, des « chemins , des quarrefors et places communes , de <( port d'armes et ester les débats de guet appensé , « et faire battre, pour denier mettre à question et « tourment , fustiguier et battre de verges pour délits <i publiquement, ester le péril hors, avoir baillif, ^ avoir scel autentique pour sceller lettres et inslru- « mens, avoir forches à un ou deux ou trois pilloris , « faire dédire devant le peuple, mettre en espécial garde K et protection, donner assurément, connoistre d'avoir « appelle famme mariée putain ou homme larron ou « meurtrier, et semblables et plus grands injures, faire « vendre héritage par cri solemnel et mettre décret <i par espécial, quand chouses et biens immeubles de « meneurs se vendent, avoir ressort, etc. (1). )>
Parmi ces droits, dont plusieurs ne se rapportent pas au sujet que nous traitons, il en est sur lesquels nous devons appeler l'attention d'une manière toute parti- culière.
On voit d'abord que le haut justicier a le choix entre tous les genres de peine de mort : le bûcher, la potence,
(1) Décisions de Jean Desniarcs, an. 295 : ce juriseonsuile vivait sous Charles v et Charles vi ; et Droit public de France^ par Bouqueï, avocat au parlement, p. 279; Paris, 1756.
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la décapitation, renseyelissement ou récorchement d'un corps vivant, etc. Cette énumération fait frémir. Que dire d'un pouvoir justicier qui permettait à un petit suzerain de faire un choix arbitraire entre de telles peines 1 Ce pou- voir ne devait-il pas trop souvent dégénérer en tyrannie?
En vertu de la haute justice, le seigneur pouvait également faire battre de verges tout délinquant public, et s'il déniait, le mettre à question et à tourment.
Il avait , comme conséquence du droit de peine du sang , celui d'avoir des prisons et des fourches patibu- laires; son sceau donnait à ses sentences l'autorité légale. Il pouvait avoir bailli fs , et il en eut en effet de bonne heure. Il paraît même qu'il ne jugea jamais par lui-même et sans assesseurs; et cela diminua l'odieux de ses sentences de mort.
On verra ailleurs ce que furent les droits de sauve- garde et d'assurément.
Un droit que ne mentionne pas Desmares et qui com ' mençait en effet à tomber en désuétude, au temps de Charles v et de Charles vi, dans les seigneuries qui n'étaient pas tout à fait souveraines (1), c'est le droit de grâce. Ce droit avait été formellement interdit par les Capitulaires, non-seulement aux vicaires , mais aux comtes qui étaient les premiers magistrats des provinces ou diocèses {2î).
(1) Gomme le duclié de Bourgogne , le duché de Bretagne , le comté de Flandres, etc.
(2) Poslquam scabini dijudicaverunlt non est licentia comitis vel vicarii ei vilam concedere, (Baluz. 1-508-13.)
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Aux XI* et XII* siècles, on le trouve entre les mains de tous les hauts seigneurs qui jouissaient des droits régaliens {\].
C'était, au surplus , une conséquence du droit de dernier ressort qui leur était dévolu. Eux seuls pou- vaient modifier un arrêt de mort qu'ils auraient été libres d'exécuter sur-le-champ.
L'abolition du droit de dernier ressbrt par le roi fut nécessairement suivie de la revendication du droit de grâce , qui existait déjà dans la législation romaine comme une des prérogatives les plus précieuses du pouvoir impérial.
Quant à la procédure à suivre dans la cour du haut justicier, elle semble avoir été dans le principe aussi indéterminée et aussi arbitraire que la pénalité elle-même. Cependant le prince suzerain prétendit plus tard que le seigneur haut justicier devait suivre dans sa procé- dure les règles prescrites par les anciennes coutu- mes (2).
Il faut maintenant faire connaîtra en quoi consistaient la moyenne et la basse justice.
(1) Brussel, De Vusage des fiefs, chap. xi, p. 217. En 1285, le tuteur de Jeaune de Champagne , qui n'était autre qu'Edmond d'Angleterre, lit grâce à ia femme d'un certain chevalier appelé Giion Fuiret et lui accorda la remise de la confiscation des biens de ce dernier, quoiqu'il fût encore vivant et que ce fût contre la cou- tume. (Voir le texte de l'arrêt, p. 218.j
(2) Brussel, Usage des fiefs, tom. i, p. 2^2. Nous reviendrons sur ce point.
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§11. Moyenne et basse justice.
Dans le commencement de la féodalité , on ne con- naissait que la haute et la basse justice. L'une et l'autre n'étaient même pas toujours séparées. On disait alla et ba$$a justitia pour faire entendre que le pouvoir du seigneur comprenait tous les droits de justice , depuis le haut jusqu'au bas de l'échelle.
Cependant les hauts seigneurs déléguèrent souvent et inféodèrent à leurs châtelains et ofSciers inférieurs leur basse justice, et même une partie de la haute, qui s'appela moyenne justice.
Le haut justicier, suivant un langage emprunté au droit romain et mal appliqué aux institutions féodales, était censé' avoir le merum imperium, qui entraînait le jm gladii. Le moyen justicier , disent encore les feudistes du xv* siècle, mixtum imperium habet, non gladii pote$tatem. Cette définition très-vague ne pré- cise nullement quelle pouvait être la plus ou moins grande étendue de ses droits. La moyenne justice était aussi variée queles.inféodations qui l'avaient aliénée et morcelée. <( Le seigneur moyen justicier, dit Jacquet, « peut, dans quelques coutumes, avoir des fourches « patibulaires à deux piliers; et son juge connaît du « simple homicide sans guet-apens et des cas qui en « dépendent; dans d'autres, il connaît du crime de
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-« larcin jusqu'à la peine de mort inclusivement ; dans « d'autres, il a la punition du sang jusqu'à 75 sols « d'amende envers la justice, et du larron jusqu'à la « mort; dans d'autres , il connaît, en ses assises, qu'^7 « peut tenir quatre fois Van^ du simple furt; peut « avoir ceps et anneaux de fer et une prison poi^r garder « les malfaiteurs et les punir jusqu'au supplice de la « mort exclusivement; mais, dans d'autres, il ne peut « user de fers , ceps, grue^;, grilles, et dans d'autres, « au contraire , il peut avoir prison fermée, ceps et « anneaux et détenir les délinquants ou les punir, s'il <i y a lieu (1). » ^
Quant à la basse justice, que l'on a comparée à la juridictio simplex des Romains , elle ne donnait droit, comme juridiction criminelle directe, qu'à la connaissance de petits délits punis par des amendes, par l'exposition sur l'échelle (le pilori) et par l'emprisonnement (2). Mais en tant que le bas justicier était appelé «à faire exécuter les sentences de son suzerain , il présidait au supplice de ceux qui étaient condamnés , et comme le droit d'exécuter dans des temps de désordre et d'anar- chie tendait à se confondre avec celui de juger, il s'ensuivit que le bas justicier s'arrogea souvent le pou- voir de faire pendre de sa propre autorité le larron ou
(1) Jacquet, Des justices des seigneurs j liv. ii, chap. 3, n<»21.
(2) Beaumanoir, Coutume du Beauvoisis, chap. ltiii, éd'tt. Beu- gDot, tom. 11^ p. 339 et suiv., développe longuement les différences de la haute et de la basse justice. La moyenne justice, dont il ne parle pas, semble ne pas avoir encore existé de son temps.
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le voleur pris en flagrant délit. <( On doit savoir , dit « Beaumanoir, que les cas de crimes, quels ils soient, <( dont on pot et doit perdre la vie, qui en est atteint « et condamné, apartient à haute justice, excepté le « larron ; car tout soit ce que lerres pour lor larrecin « perdent la vie, ne pour quant larrecin n'est pas cas de « haute justice (i). »
 part Beaumanoir, tous les feudistes que nous avons cités sont postérieurs au xiv® et au xv* siècle , et on peut croire qu'ils ne peignent pas Irès-fidèlementle temps de la féodalité pure , dont ils n'avaient plus sous les yeux que des débris épars et désordonnés. Il est pro- bable, par exemple , qu'au temps de Hugues Capet les anneaux, les ceps et toutes les espèces de torture étaient encore très-peu connus dans les châteaux ou donjons de cette époque (3). Ces raffinements supposent des rigueurs plus civilisées, si on peut le dire ; ekla science de la QUESTION judiciaire n'eut sa pleine renaissance qu'avec le droit romain. La procédure inquisitoriale , que l'on a fait remonter jusqu'à Tibère (3) , et qui très-
(1) Edit. Beugnot, tom. n, p. 338.
(2) Il est question de cippi dans une ancieDoe charte de Ghrode- jang, évéque de Metz, en 765; mais, !<> il y aurait eu interpolation dans cette charte, au xii* ou au xm® sièclç, suivant M. Guérard, Prolégom. duPolypt. d'/rmÎTion, p. 432; 2» il s'agirait d'aiUeurs de cippi, ceps y dans le sens de liens de fer pour empêcher les prison- niers de s'échapper, et non de ceps pour donner la torture : car il est dit que Tévéque pourrait retenir des accusés dans des prisons ou ceps.
(3) C'est l'opinion de M. Laboulaie, et il l'a professée dans son Cours d'histoire des législations comparées, au collège de France.
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certainement avait envahi Tempire romain presque tout entier après Justinien, commença à reconquérir TEa- rope moderne depuis la fin du xiii® siècle : elle remplaça peu à peu les procédures superstitieuses d'origine ger- manique, telles que les épreuves du feu et de Teau et autres ordalies ; elle lutta plus longtemps pour détrôner le duel judiciaire, mais elle finit également par en v^nir à bout. C'est elle qui remit en vigueur les ceps, les grues et autres instruments de ce genre.
Laissons aux temps de Hugues Capet et de Philippe- Auguste les désordres sanglants et Jes violences privées des seigneurs féodaux ; mais ne leur imputons pas d'avoir cumulé la froide et savante barbarie des Romains avec la barbarie franque mêlée d'emportements effrayants, de scrupules bizarres et d'appels superstitieux à la Providence.
C'est par suite des mêmes préoccupations que les feudistes modernes, imprégnés du droit de Justinien et des enseignements théoriques des universités ita- liennes et françaises, ont voulu appliquer les idées du merum, du mixtum imperium et de la juridictio simplex aux diverses divisions de la justice dans notre vieille monarchie. Loiseau dit gravement que Ton re- trouve dans ces trois degrés hiérarchiques les grandes, les médiocres et les petites seigneuries. Mais cet ordre idéal qu'il crée dans son esprit, il. serait bien en peine d'en trouver la réalisation à un moment précis de notre histoire. D'un autre côté, fidèle à son système de dénoncer partout des empiétements et des usurpations.
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il semble continuer son fameux pamphlet sur les justi- ces seigneuriales, quand il rend compte en ces termes de l'état de choses qui s'est établi en France au x"" siècle :
<( Gomme, en matière de seigneurie, on tâche toujours m et enfin on trouve moyen d'empiéter , les ducs et <i comtes se sont faits princes et ont murpé les droits <i royaux. Les vicomtes et barons par après sont mon- « tés en leur rang et se sont faits premiers magistrats ; <( et finalement les chastelains ayant converti leur office a en seigneurie , ont usurpé la justice entière de leur « territoire. De sorte qu'enfin tous les fiefs de dignité « ont, non-seulement eu la haute justice, mais aussi « eut mis sous soi des justices inférieures pour remplir « la place vacante des moyennes et basses justices. « Or , ces justices inférieures n'estoient du commence- « ment que de simples justices, c^est-à-dire sans titre « particulier de dignité, qui partant ne dévoient toutes « être que de basses justices , telles que la simple <( juridiction du droit. Néanmoins, croissant de degré « en degré , ainsi que les autres seigneuries avaient jà « fait, elles ont à la parfin occupé le nom et la place « des hautes, moyennes et basses justices ; et ce, pos- « sible, sous Ja faveur de l'équivoque du nom de « juridiction ou de justice , qui en droit signifie tantôt « la basse justice, et tantôt est le genre qui comprend « sous soi les trois degrés ou espèces de justice, ou « plutôt d'autant que les habitants des villages, où il « y avait basse justice,^ pour gratifier leur seigneur en
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« amplifiant sa justice et cfaignant lui déplaire en <( faisant le eantrairer ou même pour leur commodité « pi^ticulière d'avoir leur juge sur le lieu , bien qu'il « ne fût ordonné que pour les causes légères, ont néan- « moins eu recours à lui pour tous leurs différons ; et « ainsi par une prorogation yolontairjB de juridiction, « les simpies justices ont pris coutume de connoitre « de toute espèce de causes (1). »
Quoi qu'en puisse dire Loiseau , les justices seigneu- riales, daBs leurs divers degrés, ne furent pas de pures et iniqups usurpations : comme la plupart des institua tions humaines , elles tinrent au droit et au fait dans une certaine mesure. Il serait difficile de croire à une conspiration unanime de tout ce qu'il y avait de plus ou moins élevé dans l'Etat, sans autre but que de spolier le pouvoir royal de ses plus belles prérogatives. Si une confédération de seigneurs se forma pour repousser, au IX* siècle, les Sarrasins qui débarquaient a Fréjus , les Hongres ou autres barbares qui ravageaient les provinces de l'est, les Normands qui envahissaient le nord et Touest et menaçaient, avec Paris, le cœur même de la France, c'est que Charles le Sinjple et ses successeurs n'avaient plus la force de défendre leur rqyaume ; et comme ils n'avaient plus même celle de le gouverner, ceux qui avaient saisi le glaive du commandement pour combattre leurs ennemis prirent aussi celui de la justice pour répri- mer les crimes et les désordres dans leurs domaines.
(1) Loiseau, Trailé des jusUces , p. 232.
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Qa'on De nous parle donc pas d'empiétements et d'usurpations sur un pouvofrqui n'sLpIus d'action ni de ?italite ; les barons , qui constituèrent hiérarehiquecnent une coalition territoriale pour sauver leurs propriétés et leurs familles, faisaient un acte de légitime défense. Après tout, l'autorité qui abandonné ceux qu'elle doit protéger, et qui s'abandonne elle-même, est une autorité qui abdique.
§nr.
Des circoQScriptions territoriales.
Quelle que soit l'i^pinion qu'on puisse avoir sur la légitimité première de l'ordre de chosed^qui se fonde en France, aux ix® et x® siècles, on a pu voir que le poijvoif seigneurial et haut justicier se constitue à peu près en même temps que se forme Tassociation féodale. Sans doute ce pouvoir et cette association diffèrent complè- tement d'origine ; l'un se rattache aux traditions fiscales des Romains combinées^vec les grossières traditions des peuples germaniques : deux paganismes , presque également durs pour les esclaves et les vaincus ; l'autre s'appuie principalement sur les souvenirs des comités germains, en donnant à ce vieux lien des guerriers avant la conquête là solidité d*une confédération territoriale, et il épure par l'esprit chrétien les rapports du supé- rieur et de l'inférieur, les notions de droit et de devoirs réciproques du suzerain et du vassal.
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58 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
Mais ces deux formations , quelque diverses qu'elles fussent dans leurs sources et dans leur esprit , eurent une certaine influence Tune sur l'autre. Dans l'ordre matériel, par exemple, le nouveau régime féodal a certainement donné naissance à des circonscriptions administratives et judiciaires très-différentes de ce qu'elles avaient été jusque-là dans la Gaule romaine et dans la Gaule franque.
Dans les provinces romaines , il y avait en général de grandes cités, civitates ; puis venaient, comme subdi- visions, le pagm et Vager.
Dans les Gaules , le major pagm était souvent assi- milé à la cité (1), et les pagi se divisaient en agri (2), dernière circonscription territomle où s'exerçât la juridiction des juges ou employés inférieurs.
Toutes ces circonscriptions, assez régulièrement con- servées sous la première race et sous une partie de la seconde, se disloquent et se perdent dans l'effroyable confusion des invasions normandes et autres , depuis Charles le Simple jusqu'aux premiers Capétiens. Les
(t) Hadrien de Valois a dit : « Majores pagi a civitatibus nequa- (t quam differunl. » (Not.GaU., préf., p.x.)
(2) Les trois divisions de civiupf, pagus et ager se trouvent assez bien marquées dans ce passage du Digeste : « Forma censuali cavea- (« tur ut agri sic in censum referantur, nomen fundi cujusque et in u qua civitate et quo pago sit, et quos duos proximos habent, etc. » (Dig., lib. y, tit. x, de censuj lex 4.) Dés le vi® siècle, dit un énidit moderne, le pagus lugdunensis était divisé en circonscriptions appe- lées agri ; ces divisions se retrouvent encore au xii« siècle dans le Lyonnais, parce que Lyon avait gardé le droit écrit et faisait partie de l'empire. (Auguste Bernard, Préf. du carlulaire de Savigny et du pelil carlulaire d'Ainay.)
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DES PEUPLES MODERNES. 59
noms changent avec les limites mêmes des juridictions. A une époque où régnait dans les campagnes un certain ordre administratif, on avait appelé la division du ter- ritoire ager, parce qu'elle était fondée sur un cadastre rural, sur la culture et le rendement des champs. Au moyen-âge, où la société se trouva partout constituée en état de guerre, les populations arrachées aux travaux réguliers des champs quittèrent les plaines pour se grouper sur les colliifes, autour des châteaux-forts ; alors la juridiction se rattacha au château , on appela la nou- velle division territoriale châtellenie , et l'ofiQcier qui y rendait la justice, châtelain.
Le siège de l'officier royal, la villa des plaines, avait disparu dans les ravages des barbares (1). La jus- tice n'avait trouvé de refuge qu'à l'abri des remparts crénelés du donjon féodal : il fallut bien qu'elle roçùt une nouvelle investiture du suzerain indépendant qui lui prêtait asile, territoire et protection.
(1) La justice se tenait aussi assez souvent en plein champ, sous Yormet sous Vaub^ne, etc. C'est là que se rassemblaient en tribunal les hommes libres de Vager, puis les scabins, etc. Ces réunions devin- rent plus tard impossibles par suite de l'absence complète de sécurité dans les campagnes.
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60 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
CHAPITRE IV.
DE l'État des personnes dans l'intérieur de la baronnie
ET DU FIEF.
i ^^
Il ne sufBt pas d'avoir donûé une idée générale des justices seigneuriales et delà manière dont elles se for- mèrent ; il faut s'efforcer de pénétrer dans l'intérieur même de la baronnie et du fief, et y étudier l'état des personnes dans leurs rapports avec la constitution des justices nouvelles.
Et d'abord, nous tâcherons d'éviter le défaut juste- ment reproché à* quelques publicistes, soit allemands , soit français, de présenter le régime féodal comme parvenu tout d'un coup à son entier développement.
En fait, ce régime, même arrivé à sa perfection, n*a jamais offert l'aspect de cette régularité parfaite qui suppose une administration savante et une civilisation avancée ; à plus forte raison, dans le ix® siècle, trou- verons-nous beaucoup de désordres , au dedans et au dehors du fief et de la baronnie.
Cependant, c'est surtout dans sa constitution interne
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que le fief, dès son origine, a pu, comme nous l'avons vu, devenir pour les faibles un asile et une protection contre les violences. Pour pouvoir résister aux invasions des barbares et aux brigandages féodaux, il fallut bien qu'il s'établît de bonne heure une corrélation puissante et une cohésion intime entre les diverses parties de cette unité nouvelle, la baronnie.
La nécessité amena, dans cet état en miniature, cette corrélation et cette cohésion que tous les efforts d'un grand homme n'avaient pu établir qu'imparfaitement dans le grand état qu'on appelait l'empire carlovingien.
Avec les éléments du vieil ordre de choses qui péris- sait, on voit rapidement s'en former un nouveau. Parmi ces éléments, il y avait la servitude domestique, le ser- ij vage territorial, lecolonat, etc. ; enfin, plusieurs formes j de propriété et de possession libres et non-libres. De , ^ tels éléments se groupent, s'associent, se combinent tout autrement que dans la constitution sociale qui avait précédé.
Au milieu de ces combinaisons nouvelles dont se forme la baronnie, les anciennes oppositions nationales disparaissent; l'empreinte des races diverses semble s'effacer ; la législation personnelle est abolie ; le vieux combat des propriétés d'origines différentes se termine définitivement; des classifications nouvelles surgissent, et forment une sorte de hiérarchie dans l'intérieur même du fief.
Cette hiérarchie est difficile à déterminer. On craint toujours d'être peu fidèle à la vérité en précisant trop
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neltement un état de choses où tout était vague et flot- tant, et en interprétant dans un sens trop fixe des mots dont la signification variait sans cesse, même dans les auteurs du temps.
Cependant on peut dire qu'au-dessous des barons, il se présente deux classes d'hommes principales : les ingénus, ou gentix-hom, et les serfs.
Les serfs, ou servi glebœ, descendaient des esclaves ^/ ruraux des Romains : c'étaient ceux que Ton regardait comme taillables et corvéables à merci. La pénalité à leur égard était aussi tout à fait arbitraire.
L'ingénu, ou le gentix-hons (Tiomo gentisj , était l'homme qui était de famille ou de race libre.
Les auteurs des xii'' et xiii'' siècles se servent souvent , des expressions hons de poesté (1) , hon$ coutumiers, / qu'ils opposent à celle de gentix-hons. Les hons coutu- miers composaient cette masse intermédiaire d'hommes jouissant d'une demi-liberté, dont l'origine se rattachait aux lœtij aux inquiliniy aux coloni, aux hospites. Plus tard, on les appela vilains ou roturiers. Ils étaient pro-
(1) Beauroanoir dil : a Tuit li francs ne sunt pas gentils-hons : « ançois a grant différence entre les gentix-homes et les francs-bons « de poesté; car on appelé ceux qui sont estraits de franque lignée
« gentix autrement est de la francise des hommes de poesté, car
« ce qu'ils ont de francise lor vient de par lor mères Nous avons
« parlé de deus estats, et 11 tiers estât est de serfs, et ceste manière « de gens ne sunt pas tout d'une condition ; ançois sunt plusors con- te ditions de servilutes {Coût, de Beauv.j tom. ii, chap. xlv, pp. 232 et suiv.) On entend quelquefois cependant par les hons de poésie tous ceux qui sont en dehors de l'association féodale, par conséquent les serfs en même temps que les vilains.
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tégés par une coutume terrienne. De là, le principe qui 1. ' nlus tard reconnu comme un axiome : Le seigneur n'a mie plénière poesté mr son vilain.
Dans beaucoup de baronnies et principalement dans les seigneuries ecclésiastiques, il y avait beaucoup moins de serfs que d'hons coustumiers ou vilains. Le savant M. Guérard a réformé sur ce point des préjugés invété- rés. D'après le Polyptique dlrminon, il a prouvé que le douzième seulement de la population dépendant de Tabbaye de Saint-Germain des Prés se trouvait dans rétat de servage proprement dit (1) : «Les serfs, dit-il, « semblaient n'être là qu'un supplément nécessaire « pour peupler les terres et les cultiver. »
Les hons coustumiers ne furent pas protégés seule- ment par des coutumes orales ; dans le xii* siècle, il y eut un grand nombre de chartes octroyées à ces hons , . coustumiers qui étaient , ou des colons du temps des ^' Gallo-Romains , ou des hospites venus sur des terres désertes après les extenainations des Sarrasins, des Hongres et des Normands.
L'institution d'une justice plus régulière pour ces hommes de poesté ou hons coustumiers était toujours la première garantie réclamée par eux. Souvent ils se contentaient d'avoir pour juge de leur petite commu-
(1) Il serait trop long et il n'est pas dans notre sujet de reproduire les dénombrements de famille qu*énumère M. Guérard dans sa savante préface du Polyptique, 11 résulte des documents qu'il cite qu'il n'y avait que 150 ménages serfs dans les vastes domaines de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, aux ix® et x« siècles. ( Prolégomènes du Polyptique d'Irminon, pag. 200 et suivantes.)
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nauté un bailli ou châtelain nommé par le seigneur et devant leur rendre la justice d'après leurs coutumes. La délégation du pouvoir judiciaire par le souverain est toujours un premier pas fait en dehors des voies de l'arbitraire et du despotisme. Cependant cette justice , qui était consentie entre l'homme et le seigneur, était de la justice justicière, et non de la justice féodale ; car il n'y avait ni principe de réciprocité , ni lien mutuel d'association entre le seigneur et l'homme depoesté^ qui était considéré comme son sujet.
Vers le temps de saint Louis, les hommes depoesté et les bourgeois avaient tellement amélioré leur condition, qu'ils achetaient eux-mêmes des fiefs. Ce monarque, tout en maintenant ces sortes d'acquisitions pour le passé, se crut obligé de les interdire pour l'avenir , afin de ne pas diminuer les services que les gentils- hommes pouvaient rendre au prince (1) : En eflfet, dans ce temps où, sur la réquisition du suzerain, les gentilshommes devaient toujours être prêts à faire la guerre, il fallait qu'ils conservassent leurs fiefs et leurs propriétés pour subvenir aux soins de leur équipement et de leurs expéditions lointaines. Le noble ne pouvait pas plus alors se passer de son fief que le roi de son domaine.
§11.
Des publicisles distingués ont cherché à démontrer (1) Coutumes de Beauvoisis, par Beaumanoir, chap. xltiii.
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que si le sort des serfe de la glèbe s'améliora , celui des colons s'aggraya et s^empira , et que les uns et les aatres se rencontrèrent dans les misères d'une sujétion commune à des seigneurs tyranniques»
Hais on n'a pas assez remarqué qu'au x® siècle les anciens colons ou vilains purent franchir plus facilement que les serfs proprement dits la barrière qui les séparait complètement de l'état d'hommes libres. L'autorisation donnée par le seigneur à ses hons coutumiers de s'èqm- per en cavaliers suffisait , à cette époque , pour leur conférer la franchise ou l'ingénuité.
Un peu plus tard, les gentils-hom ou milites se pré- sentant avec le cheval enharnaché et l'armure de fer forent réputés faire partie de la noblesse féodale, du moment qu'à raison des possessions dont ils jouissaient à un titre quelconque, ils furent admis à prêter le serment d'hommes-liges entre les mains de leur baron ou suze- rain. Or, chaque baron, pour augmenter le contingent de sa milice chevaleresque, était intéressé à multiplier ainsi le nombre de ses vassaux, mvassours ou gentilS" hons. C'est ainsi que dans un fief d'une assez médiocre étendue, le baron de Sassenage avait, au commencement du xii® siècle, plus de deux cents hommes-liges (1). Enfin, les hauts barons prétendirent aussi avoir le droit d'anoblir pour services civils (2) ; mais ce droit,
(1) Ghorîer, Histoire et gén&dogiede la maison de Sassenage.
(2) Même ouvrage. — Gborier cite un certain Guignes anobli au xiv« siècle par an baron de Sassenage; et cet anoblissement fut partout reconnu comme légitime.
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ainsi que celui de battre monnaie, fut bientôt revendiqué par le monarque comme droit régalien.
Il n'en est pas moins vrai que, dès les premiers temps de la féodalité, en se forgeant des lances et des épées, et en les maniant avec courage, les manants et les vilains pouvaient trouver leurs titres de noblesse sur tout champ de bataille, et quant au «^r/* lui-même, il ne tenait souvent qu'à lui, comme Ta dit un célèbre écrivain (1), d'échanger le fer qui enchaîne contre le fer qui délivre.
La porte qui menait de la servitude ou du servage à la liberté et à la noblesse était donc toujours ouverte , et le seuil en fut incessamment franchi. Ces faciles passages d'une classe à une autre, en coïncidant avec l'amalgame des races et avec la suppression des législa- tions barbares qui en avaient longtemps perpétué la distinction, fondèrent la nation française proprement dite ; et au sein de cette nation, qui apparaît tout-à-coup sortant du chaos du xi® siècle, on n'aperçoit plus de trace de la juxtaposition de ce qu'on a appelé l'élément germanique et l'élément gaulois ou gallo-romain : ces deux éléments se sont fondus en un seul. Les vainqueurs et les vaincus ont oublié leurs origines diverses. Ils ne forment plus qu'un seul et même peuple (2).
(1) Chateaubriand, Etudes historiques.
(2) Si Ton veut chercher des détails plus étendus sur Vélat des personnes aux x® et m^ siècles, on peut lire Y Histoire du droit au moyen-âge f de M.Giraud, t. i; Paris, Yidecoq, 1846; les préfaces du Cartulmre de St-Père et du Polyptique d'Irminon, par M. Guérard ; V Histoire du droit français, par M. Laferrière; V Histoire des classes agricoles, par M. Dareste^ etc.
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Ces préliminaires étaient indispensables pour pouvoir expliquer comment l'administration de la justice était organisée dans Tintérieur de la baronnie : ce sera le snjet du chapitre suivant.
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CHAPITRE V.
DE LA COMPOSITION DES DIVERSES COURS DE JUSTICE DANS LA BARONNIE.
Idée de cette justice.
Pendant les premiers temps de la conquête des Gaules par les Germains, le pouvoir du gouvernement se résumait dans deux signes caractéristiques: 1^ la décision et la conduite des expéditions guerrières; %"" l'administration de la justice. La guerre, malgré sa fréquence, avait quelque chose de temporaire et d'indé- terminé ; la justice, au contraire , était essentiellement fixe et régulière : c'était donc, après tout, la mani- festation principale de la puissance et de la vie de l'état.
Sous les Carlovingiens, le pouvoir du comte ou em- ployé de l'empereur grandit avec l'Etat lui-même ; chez le comte , les attributions du lieutenant militaire s'effa- cent en quelque sorte devant les attributions civiles qui sont pour lui comme des annexes de ses vieilles préro- gatives judiciaires. Il a un pouvoir de police fort étendu ; on lui accorde une part, au moins consultative, dans la
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confection des lois, qu'il est seul chargé de promulguer et d'interpréter dans l'étendue de son comté. La justice et le droit, qu'on s'accoutume ainsi à regarder comme étroitement liés, se trouveront pins tard concentrés aux mains du baron, en se transformant, toutefois, dans leurs formés essentielles et dans leurs principes fondamen- taux.
D'autre part, dès que, parmi les Germains, quelques- uns commencèrent à avoir des possessions non-libres à côté des propriétés immunistes ou pleinement libres , en opposition à la vieille justice nationale et aux mâhls primitifs, où l'ingénu avait droit de se faire dire la loi salique^ la loi de sa race, il dut se créer une deuxième justice, celle du libre tenancier sur les hommes qui lui appartenaient ou qui cultivaient des terres dépen- dant de la sienne. Dans le système de la justice libre, chaque individu ne reconnaissait que le droit commun et national, et pouvait se prétendre l'égal de celui qui disait la loi. Dans le système de la justice des immvr nistes, celui qui rendait la justice créait en même temps le droit local ; il était à la fois le propriétaire absolu du sol, et le seigneur de tous ceux qui l'habi- taient.
Or, il n'est pas douteux que plus ou moins longtemps après la conquête, il s'était formé parmi les anciens conquérants eux-mêmes, tout comme peut-être parmi les Gallo-Romains originairement restés indépendants et possesseurs allodiaux, une classe de vassaux et arrière- vassaux moyennement libres. Dès lors, à côté du mâhl
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OU tribunal du Ding, comme l'appelaient les Scandi- naves, il y eut le tribunal territorial ou tribunal de la cour du seigneur : c'est dans ce dernier tribunal que se terminaient les différends entre les hommes attachés à la glèbe, et tous ceux qui, ne jouissant pas de la plénitude de leur liberté, avaient cessé, comme nous l'avons dit plus haut, d'èlrejurispublici, pour ieyeniv juris privait. Il paraît certain encore que s'il y avait procès entre un serf et un homme libre, ce procès tombait sous la juridiction du tribunal de la cour.
Gomme pour symboliser ces juridictions si diverses, le tribunal du baron ou seigneur siégeait dans la cour même du château, à l'intérieur de ses fortes et hautes murailles, tandis que le tribunal national siégeait, dans l'origine, en plein champ, entouré seulement d'une haie ou d'une palissade mobile.
Les comtes, qui étaient en même temps possesseurs de terres bénéficiales , avaient souvent un double rôle sous les premiers Garlovingiens ; ils possédaient et rendaient souverainement la justice en leur propre nom dans leurs bénéfices ou baronnies ; ils la rendaient au nom du roi dans le tribunal libre du peuple.
Au reste, l'institution des scabins avait déjà borné la participation de la masse de la nation aux jugements. Les organes de la justice étaient désignés par l'Etat, et le comte était le représentant le plus élevé de cette portion du pouvoir déléguée par l'empereur. Ainsi se perdait la notion d'une justice libre émanant du peuple par l'élection ou le tirage au sort. A la même époque.
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parmi les petits possesseurs de terre , les uns se re- commandèrent au comte et au grand tenancier ou baron ; les autres, quoique propriétaires allodiaux dans l'origine, tombèrent dans une condition semblable à celle des colons ou attachés à la glèbe. Les vassaux des comtes formèrent pour la composition du tribunal de la terre un corps compacte et puissant. Ceux qui avaient été anciens hommes-libres d'après le droit strict, étaient obligés par les circonstances d'avoir sans cesse recours au tribunal de la terre pour terminer la plupart de leurs différends, parce qu'ils se trouvaient sans cesse en con- tact avec les vassaux ou gentilshommes, et que ceux-ci, d'accord avec le comte ou le baron, tendaient toujours à les attirer à cette juridiction.
Si le tribunal national se réunissait encore quelque- fois, la plénitude de la souveraineté judiciaire qui repo- sait jadis sur la tète du comte dans sa juridiction parti- culière, semblait l'y accompagner.
Mais les éléments pour la formation de ce tribunal finirent par manquer, et il tomba tout à fait en désuétude là où les propriétaires allodiaux avaient à peu près disparu.
De la sorte, le tribunal du Ding se transforma en tribunal seigneurial, et le propriétaire de la terre devint le possesseur de la justice et de tous les droits fiscaux qui en dépendaient.
A cette absorption de la justice nationale par la justice de la terre, correspond la substitution de la législation réelle à la législation personnelle, ou législation de race.
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7iî HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
Le souverain local ne connaît plus, dans son petit état, de Gallo-Romain, de Bourguignon, de Franc- Salien ou Ripuaire ; il ne connaît que des sujets et des hommes-liges, des serfs et des vassaux. Sur un si étroit espace, la diversité des lois personnelles ferait une bigar- rure par trop étrange ; d'ailleurs, à la cour du château seigneurial , personne n'a plus qualité pour demander à son juge de lui dire la loi satique, ou la loi gam- bette.
C'est ainsi que la réunion des diverses justices dans la même main amène l'unité de législation, et la consti- tution de la baronnie est fondée sur cette double base.
Dans la terre seigneuriale, toute justice et toute police dépendent du baron ; mais cette dépendance n'est pas égale pour tous les sujets et tous les habitants de la baronnie. L'inégalité de celte dépendance se manifeste comme un tout plus ou moins bien ordonné, et c'est là le principe générateur de l'organisation sociale et judi- ciaire du petit état féodal.
Parmi les diverses classes, celle des hommes libres, ou nobles , se dessinait comme ayant une physionomie un peu plus indépendante; or, dans la nouvelle orga- nisation judiciaire à laquelle ils prirent part, on recon- naît quelques traces des éléments de l'ancienne justice libre et nationale. De même que les premiers Francs sié- geaient dans leurs mâlhs primitifs sous la direction de leurs grafs ou comtes , de même les jugements de la haute-cour de justice féodale avaient lieu sous la pré-
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sidence du baron lui-même : c'est ce qu'on appelait la pairie. La pairie et. la libre justice furent donc, à cette époque , choses identiques. Tout noble eut droit à la justice de ses pairs dans la cour du baron.
Entre la classe des nobles et celle des serfs se trouve celle des moyennement libres , ou hons coustumiers. Ceux-là avaient aussi leur justice propre, dans laquelle nous retrouverons quelque chose du caractère de la justice du scabin. Mais cette justice est subordonnée a la suprématie judiciaire du baron, soit parce qu'elle ne comprend qu'une communauté et non toute la baronnie, soit parce que les appels de cette justice inférieure peu- vent être portés à la cour du baron. Ainsi que la con- dition même des hons coustumiers , leur justice n'est pas partout la même , soit dans son étendue, soit dans ses formes.
On comprend que la dernière classe du peuple, composée des serfs taillables à merci, ne pouvait avoir aucune institution judiciaire rappelant celle de la pairie, puisque la justice seigneuriale , à leur égard, était une justice d'employé j où le juge était nommé par le suzerain, et avait entre les mains, comme son repré- sentant , la plénitude du pouvoir judiciaire et politique. Au surplus , cet employé , anobli par ses fonctions , ne siégeait pas au-dessous de la cour du baron , mais il en faisait partie , et prenait place parmi les hommes libres ou vassaux qui la composaient.
Tels étaient les divers degrés hiérarchiques de la justice du baron. La baronnie du moyen-âge se présente
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comme un vaste corps de justice dont le baron occupe le sommet. Cependant on ne saurait affirmer que toutes les formes de justices que nous avons indiquées se ren- contrassent complètement dans chaque grande seigneu- rie ; mais on y devait au moins retrouver la première et la dernière de ces formes : seulement, ce qui pouvait y manquer quelquefois, c'était la justice des moyenne- ment libres.
Les parties séparées de la baronnie, c'est-à-dire les petits fiefs et les seigneuries particulières , avaient leurs justices propres et jouissaient d'une mesure plus ou moins grande d'indépendance. Chacune d'elles pou- vait offrir en petit Timage de l'état féodal. Mais ces seigneuries inférieures venaient se relier à la seigneurie suzeraine, et le baron apparaissait toujours comme le support et la personnification la plus élevée de la justice suprême.
i II.
Cour du baron.
De ce que nous venons de dire, on peut conclure quelle fut la forme et l'importance de celte cour du baron.
Tous les hommes libres reconnus et se reconnaissant eux-mêmes comme dépendants de la baronnie étaient appelés à se réunir périodiquement dans la cour du suzerain, et cette réunion , présidée par lui , s'appelait
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la cour du baron. Dans cette cour se traitaient toutes les affaires administratives et judiciaires qui avaient pu survenir dans la terre baronniale ; les décisions qui y étaient prises étaient exécutoires dans toute la baron- nie , comme celles qui se prennent dans un grand jury anglais se rapportent à to\ite l'étendue du comté , et celles de nos conseils généraux, au ressort de tout le département. Enfin il y avait des séances qui avaient pour but seulement de rendre la justice.
Il ne faudrait pas confondre la tenue de la cour baronniale avec de simples assemblées de nobles, telles qu'elles avaient lieu quelquefois au moyen-âge. Ces assemblées n'étaient pas strictement obligatoires , tan- dis que la participation à l'exercice de la justice dans la cour du baron était un devoir impérieux : suivant la plupart des coutumes locales, le baron devait requé- rir l'assistance des nobles feudalaires avec les formes voulues de la procédure usitée à cet égard. S'ils ne venaient pas , ou s'ils ne faisaient pas présenter de légitimes excuses, ils pouvaient être condamnés à payer une amende ou même quelquefois à perdre leurs fiefs (1). La cour de justice, pour avoir le droit de juger, devait être garnie de cinq ou de quatre pairs au moins, suivant Pierre de Fontaines (21), de trois suivant d'autres feudistes (3).
(1) Coutumes de Sainl-Quenlin et autres coutumes citées par Brus- sel, Droits seigneuriaux^ Ht. i, chap. y, p. 51.
(2) Pierre de Fontaines , xxT, 37.
(3) Marnier, Echiquier de Normandie^ p. 93.
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On retrouve encore un souvenir des vieilles coutumes de la Germanie dans l'interdiction absolue qui était faite à qui que ce soit d'inquiéter ou de troubler par une agression ou par une guerre privée, même juste, les chevaliers ou vassaux qui se rendaient à la cour da baron. Il n'était pas permis non plus, dans de telles circonstances, de saisir leurs chevaux, leurs armes ou leurs meubles, en vertu de titres de créances (1).
C'est à ces assises qu'étaient réservés, à l'exclusion des juridictions inférieures , le jugement et la condam- nation des crimes dits de haute justice. Ainsi que le dit Beaumanoir : « Toutes les cozes qui doivent estre fêtes « en la condanpnation, ou en ce qu'il en soit assaus « (absous), apartiennent à fere à celi qui a le haute « justice par le jugement de se cort (2). » C'est aussi dans ces assises que les amendes et confiscations pour meffès capitaux étaient adjugées au suzerain, si toutefois les biens des malfaiteurs se trouvaient situés dans sa baronnie (3). C'était également à ces assises qu'on laminait la conduite des officiers de justice, tels que les sergents et les recors, et qu'on les punissait ou même qu'on les destituait, s'ils avaient instrumenté et fait des arrestations de leur propre chef et sans mandat du seigneur. Enfin l'exécution des arrêts qui y étaient rendus appartenait au baron , et devait avoir lieu sous sa responsabilité.
(1) Coutume de Lorraine , art. 15, chap. 17.
(2) Beaumanoir, lvui, 9.
(3) Id. ibid., 3.
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i m.
Justice moyenne. — Cour du geniil-hons.
Il arriva assez souvent que les simples hommes libres, au lieu de se recommander directement au seigneur et de se mettre sous sa suzeraineté immédiate, allaient se placer avec leurs possessions et leur droit sous la domi- nation d'un simple noble, qui était lui-même un homme du seigneur. Peut-être espéraient-ils quelque chose de plus paternel dans le patronage d'un gentil-hons avec qui il leur serait permis d'avoir des relations plus fré- quentes et plus intimes. Quoi qu'il en soit, ce genre de rapports féodaux se créa dans beaucoup de baronnies ; il s'y forma ainsi de petites cours de justice inférieures, mais libres. Aussi Beaumanoir témoigne-t-il expressé- ment que ce n'est pas seulement dans les cours de ceux qui tiennent en baronnie que l'on rend des jugements, mais que c'est aussi dans les cours de leurs sujets, qui ont dans leurs terres hommes, justices et seigneu- ries (1).
Si Beaumanoir ne donne pas de grands détails sur la cour du gentil-hons , c'est qu'elle offre la parfaite image en petit delà cour baronniale. Dans cette justice, les honS'Coutumiers remplissent le même rôle que les
(1) Beaumanoir, chap. lxyi, 6, l. iv, p. 433 de Tédition donnée par M. Beugnot.
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gentilS'hons dans la cour du baron. À l'égard de leurs égaux, ils siègent comme pairs dans le tribunal du gentil'hons qui les préside. Aucun autre gentilhomme n'y siégeait avec eux , puisque le gentilhomme , en vertu de son titre même , était appelé à faire partie de la cour supérieure.
C'est à ce genre de justice que Beaumanoir fait allu- sion quand il dit : « Li home (ou assistants) ne doivent « pas juger lor segneur, mais il doivent jugier l'un l'autre « et les quereles du commun pueple (1). »
§ IV. Les cours des hommes.
Les cours des hommes se formèrent là où la masse des gens libres ou quasi-libres fut assez grande et assez puissante pour rester à l'égard du seigneur dans une certaine mesure d'indépendance.
. Il s'y établit des villages où se conserva une justice quasi-libre par suite de l'association des cultivateurs ; là, la justice publique, dans les vieilles formes du mâbl, continua de subsister. On en trouve des exemples très- significatifs dans l'ancien coutumier de Ponthieu (2). Les premières coutumes notoires (3) font mention de jugements rendus par les hommes des divers villages
(1) Beaumanoir, i, 15.
(2) Coutume de PonihieUy édit. de Marnicr. Paris, 1840.
(3) JTd. i6id.,p.let4.
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de Ponthieu (li homme d'Aisenviller , — li homme de Gaspane, — li homme d'Ally) . Il fallait que les justices de chaque village fussent ainsi désignées, parce que si les jugements étaient cassés, le village tout entier était appelé solidairement à payer l'amende pour cause de réformation de ces jugements par la cour du baron. C'est ici le lieu de citer le premier de ces jugements , parce qu'il jette beaucoup de lumière sur la diversité des juridictions féodales , et en particulier sur une partie du rôle que remplissaient quelquefois les assises de la baronnie. En voici la teneur : « En l'an de « grâce mil trois cents , et au mois de février , fut « rendu en le court de Boubrec (cour du baron « de B.) par xxxvi hommes-liges, lequel s'estoient a consillié par grant délivrance en le assise d'Âbbe- « ville (1), d'Amiens et d'ailleurs, qui li homme d'AUy « (les hommes libres du village d^AUy) qui avoient fait <( maulvais jugement se passeroient tous ensemble par « XL libres au -signeur de Boubrec, en quel court li « jugement avoit été corrigié (2). » Un second arrêt de la cour du baron réforme aussi à peu près dans les mêmes termes un jugement des hommes d'Aisenvil- 1er ; mais il porte l'amende à payer par ces hommes à LX sols , pourche qu'il étoient hommes de poesté. Cela prouve que ces cours des hommes pouvaient aussi se composer de gens moyennement libres. Cependant
(1) Ces grandes assises se tenaient tour à tour dans les diverses villes du comte et dans les maisons de divers vassaux.
(2) Coutume de Ponthieu. {Ihid.) *
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c'était une exception , comme le dit un publiciste moderne.
Du reste, nous n'avons voulu indiquer que les formes les plus générales des justices de la baronnie. Si nous voulions nous attacher aux cas particuliers , comme la diversité était le caractère propre de cette époque féodale, nous pourrions montrer que la bigar- rure des formes judiciaipes variait et se multipliait à rinfini.
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DES PEUPLES MOMRNES. 81
CHAPITRE VI.
DE LA SERGBNTERIE DtJ BARON.
Dans les premiers temps de la conquête, les employés royaux avaient des officiers inférieurs chargés de faire faire les corvées, de lever les amendes, d'assigner les parties ajournées, d'arrêter les malfaiteurs, enfin de s'acquitter de tous les messages relatifs à la justice. C'est là qu'on a cherché la première origine de l'institution des sergents féodaux. Cependant cette institution dévia beau- coup de sa nature première, quand la tenure et la sou- veraineté de la terre se furent confondues dans la même main. Alors l'ancien wmws ou son employé public devint le serviens personnel du baron : il fut son hommes son cowwmair^ privé, en même temps qu'il resta un officier de paix et d'ordre public; de. plus, dans l'exercice du mandat qu'il tenait de son baron , il n'avait de res- ponsabilité qu'à l'égard de lui seul. De la part de celui que le sergent opprimait, il n'y avait également de recours qu'auprès du seigneur. On comprend donc que, dans ses II 6
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rapports avec les paysans, cette classe de fonctionnaires dut être trop souvent un instrument d'arbitraire et de tyrannie (1).
La sergenterie (S), comme tous les emplois de ce temps, était rétribuée parla concession d'une terre. En ce sens, c'était un service déterminé dû par le vassal à raison du fief qu'il tenait de son seigneur. Souvent des redevances fixes y étaient jointes. Quelquefois enfin ces redevances n'étaient pas accompagnées de la possession d'une terre, et constituaient à elles seules tous les honoraires du sergent.
La sergenterie, en tant qu'institution, se montre à nous comme étroitement unie à l'exercice souverain de la jus- tice. Elle fut d'abord le signe de la juridiction du baron haut-justicier. Ce n'est que plus tard, que les moyennes et basses justices eurent le droit d'avoir des sergents (3), comme Beaumanoir l'atteste pour son temps. Dans les baronnies elles-mêmes, ce n'était pas seulement le baron qui avait ses sergents : très-souvent aussi le prévôt avait des sergents spéciaux pour le service de son administra- tion propre. Cependant la classification hiérarchique qui était établie d'une manière si précise en Angleterre entre
(1) M. Guérard est un de nos premiers savants français qui aient remarqué l'importance de cette institution. Voir dans les prolégo- mènes de son cartulaire de St-Pére, n® 106, p. cxxix, les renseigne- mentsqu'il donne sur la sergenterie de St-Pére.
(2) Sergent vient de servienst ou en mauvais latin, servientus, servi- teur de la justice seigneuriale.
(3) Beaumanoir, chap. lviii, art. 5.
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les magna et parva sergentia (1), n'était pas reconnue en France : seulement il y avait une grande variété dans lessergenteries, suivant les coutumes et les institutions locales*
^ Pour se rendre compte des fonctions ou attributions de la sergenterie, dans la France féodale, on pourrait les diviser en judiciaires et extrajudiciaires. Le sergent était d'abord le mandataire^ le commissaire spécial du seigneur ; c'était donc le mandat qu'il avait reçu qui devait à la fois déterminer et limiter ses fonctions. « Li ser- « jans, dit Beaumanoir, se doit entremettre de l'office « qui li est bailliés tant solement, et s'il s'entremet « d'autre, sans le commandement ou sans le mandement « de son segneur, et aucuns damaces en avenoit, li « sires l'en porroit sivir ou depecier le marcié qu'il « aroit fet, etc. Et ce entendons nous quant li serjans « s'entremet des cozes qui ne li sont pas bailliés à ser- « janler ; car des cozes qui lui sunt bailliés, il pot ouvrer « selonc le pooir qui li est bailliés tant solement (2) »
Ainsi, suivant la plus ou moins grande étendue de son mandat, il représentait tout ou partie du pouvoir terri- totial du seigneur ; il pouvait être chargé en son nom de terminer ses affaires, ventes et achats, de poursuivre ce qu'ikjr avait à recouvrer. Il avait à encaisser les revenus et à exiger les corvées des serfs de la terre, etc.
La seconde partie des fonctions du sergent se rappor-
(1) Review hisloryoflhe Englishlaw, iom. i, pag. 273.
(2) Chap. XXIX, art. 2, 1. 1, p. 395, édition Beugnot.
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tait â la justice du baron; sur ce point, la commission, donnée en termes généraux, n'avait pas besoin d'expli- cation. Un sergent [assermenté avait le droit d'instru- menter pour tout ce qui avait rapport à la justice. Quand le sergent agissait comme officier de justice, il ne pouvait pas, comme quand îl agissait en qualité de simple mandataire, être désavoué par le seigneur (i). C'est le seigneur alors qui était responsable des méfaits de son employé. Il paraît que le serment du sergent une fois prêté pour l'exercice de ses fonctions judiciaires n'avait pas besoin d'être renouvelé.
A ces fonctions se rattachaient l'exercice du pouvoir de police, la poursuite et la saisie des criminels et des habitaiits de la seigneurie qui étaient en retard de payer leurs redevances féodales.
Le sergent était cru en justice ; c'était là le principe général (%) . Cependant, comme dit Beaumanoir, il ne faut pas que le sergent puisse se faire larron (3). Voici donc quelles étaient les exceptions à ce principe.
Quand il s'agissait de rescousse, c'est-à-dire de résis- tance à main armée à ses assignations, il n'était cru que contre les personnes de qui « la rescousse ne pouvait <( monter que jusqu'à 60 sols d'amende (4). )> Il n'était pas cru quand il s'agissait d'un gentis-hons, non|^s à cause de la différence de la qualité de la personne, mais
(1) Beaumanoir, Coutumes du BeauvoUis, chap. xxix, art. 3.
(2) /dem, chap. xxx, art. 83.
(3) Id.9 chap. LU, art. 10.
(4) Id., xxx, 83.
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parce que la rescousse de la part du geutilhomme était punie d'une amende de 60 livres : or, pour une somme aussi considérable , on trouvait convenable que l'affir- mation du sergent fût appuyée d'un autre témoignage.
Dans tous les cas , il fallait que le sergent exhibât les insignes de sa charge ; si l'individu saisi, convaincu qu'il ne devait rien et que nulle présomption ne s'éle- vait contre lui, croyait que le sergent se livrait à une exaction arbitraire, il pouvait lui demander de prouver pourquoi il instrumentait ainsi, et, à défaut de ces preuves, il avait droit de lui résister.
On était aussi admis à prouver, pour faire annuler la saisie, que le sergent avait agi après des menaces de vengeance et sous l'empire d'une haine personnelle (1).
Il fallait bien que quelques garanties fussent ainsi données contre l'arbitraire de ces officiers de justice. Gela était absolument nécessaire : car leur pouvoir était immense et prêtait à bien des abus. Ainsi, pour faire des exécutions, ils avaient la droit d'introduire dans la maison du saisi ou du criminel deux ou quatre gardes à pied ou à cheval (2). Dans le principe, cette fa<5ulté dépendait d'eux seuls ; plus tard , on exigea qu'ils eussent, pour établir ainsi des garnisaires, l'autorisation formelle du seigneur ou du bailli. Mais, en fait, il paraît que les précautions prises contre les abus de pouvoir des sergents furent bien souvent insuffisantes. De plus, quand les seigneurs, loin de réprimer ces abus, usaient
(1) Beaumanoir, chap. lu, art. 10 et 11.
(2) Id., ciiap. LiY, art. 10 et IL
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de l'omnipotence qu'ils eurent au x*ou au xi* siècle, pour les favoriser ou les encourager, il n'y avait plus nul remède contre l'oppression. On voit dans un document de 1119 que le domaine de St-Liphard, « ensuite des mauvaises « coutumes qui avaient été imposées à cette terre par « les sergents, avait été presque réduit en solitude (1). » Il ne restait plus alors aux paysans, privés de tout secours et de toute défense, qu'un seul moyen d'oppo- sition ou de salut, la fuite dans une contrée étrangère. Alors la terre abandonnée restait, faute de bras, en friche et sans revenus, et la cupidité des seigneurs ou de leurs subordonnés tournait contre elle-même.
Il y avait souvent des contestations entre les petits feudataires et le sergent du haut-baron. On ne déniait pas le principe que tout propriétaire de terre « pot « penre en son héritage ou fere penre celi qui il y « trueve meflfesant (%) )> îpar ses propres hons ou sergents; mais le sergent baronnial prétendait avoir sur les terres de tout feudataire de son seigneur le droit d'arrestation directe. Le feudataire soutenait, au contraire, que nulle arrestation ne pouvait avoir lieu dans son fief sans son autorisation expresse. De là des conflits nombreux dans l'administration de la police loctle et des désordres sans cesse renaissants , qui venaient du vice même de la constitution de la féodalité.
(1) « Malarum coDsuetudinum , captione quœ a servieniibus terrse « ilii superposilse eraDt, pêne ia solitudine redacta fuerat. » Brussel, Usage général des fiefs en France, liv. ii, chap. xxifi, t. i, p. 395.
(2) Beaumanoir, ixx, 81.
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Il faut remarquer que le petit feudataire ou gentil- homme ne touchait pas lui-même impunément à la personne du sergent. Nous avons vu plus haut que le gentilhomme était soumis à une amende énorme, une amende de soixante livres, quand il portait la main sur cet officier de justice.
Le sergent étant considéré comme le représentant du seigneur, on comprend que Ton devait ériger en principe que chaque offense qui lui était faite ou chaque violence exercée contre lui était une violence contre le seigneur lui-même. Mais il y avait à ce principe plusieurs exceptions : on pouvait lui résister et même le citer en justice devant le seigneur dans quelques cas qu'énumère Beaumanoir, et entre autres s'il faisait « aucun essil ou arson ou autre vilain cas (1). »
En outre des sergents seigneuriaux proprement dits , il y avait encore les sergents assermentés devant le comte; « le comte, comme dit Beaumanoir, a un avantage que n'ont pas ses sujets ; c'est qu'il peut assigner devant sa justice par le moyen de ses ser- gents assermentés (2). » Du moment, en effet, que le vieux principe de la souveraineté eut passé entre les mains du comte ou du suzerain, il dut lui en conférer toutes les prérogatives, et, entre autres, celle de readre la justice en son propre nom.
C'est ce qui était arrivé en Dauphiné, où le suzerain,
(1) Chap. LU, art. i ,
(2) Chap. II, 12.
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connu sous le nom de dauphin, était devenu un prince assez puissant dès les xf et xii'' siècles. Aussi le dau- phin s'entourait d'un nombre toujours croissant de ser- gents appelés dans le pays mesgninSj maignerii. ^Quand Humbert ii, près de transmettre sa souveraineté au fils aîné du roi de France, voulut assurer à ses sujets, par une sorte de testament, des libertés dont il ne les avait pas fait jouir pendant sa propre administration, on remarqua, parmi les réformes qu'il avait stipulées pour le présent et pour l'avenir, la diminution de ces mesgnins , « de peur que leur grand nombre ne fût « une source de vexations pour ses sujets de Dau- « phiné (1). )>
Une mesgnerie était en effet une nuée de sangsues légales que les grands seigneurs entretenaient autour d'eux. Les exactions des ofiBciers de la maignerie ou ser- gents finissaient par se transformer en redevances fixes. Ce fut en Bourgogne, par exemple, l'origine des havor ges et devoirs^ comme il est très-bien expliqué par la constitution du duc Jean. « En sorte que, pour se « rédimer de leurs vexations, chaque laboureur était « contraint de leur payer un boisseau de blé à l'aoust, « un jallon de vin à la vendange , au commencement « de l'année quelque monnaie pour étrennes... Toutes « lesquelles exactions ce bon duc défendit sur grosses
(1) Voluil, declaravU et ordinavit numerum maignerlorum seu ser-
venlium moderari et moderalum leneri, ne propler mulliludinem
îpsorum maignerlorum graventur nimis mbdili Delphinatus. (Cité par Salvaing de Boissieu, De Vusage des fiefs, p. 17.)
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« peines.... Mais elles n'ont pa^ laissé de continuer, et « Yon a fait des rentes féodales de tous ces mauvais « profits. )>
Tinstitution des sergents ou mesgnins s'offrait donc au peuple sous un aspect odieux : ce n'étaient plus des protecteurs de la sécurité publique, des agents bienfai- sants de la police sociale , c'étaient de petits tyrans subalternes, qui recueillaient partout des antipathies et des malédictions en échange de leurs vexations et de leur avidité insatiable. Aussi, même quand les mesgnins avaient à arrêter de grands criminels , ils ne pouvaient pas compter sur le concours des populations. Leurs cris d'aide et de secours demeuraient sans écho.
Il est resté quelque chose en France , jusqu'à nos jours, de ce vieux préjugé contre la police (1). Tandis qu'en Angleterre, le peuple est toujours disposé à prêter main-forte au police-man et au constable^ en qui il voit un appui et un soutien de la société, en France, il faYoriserait plutôt le perturbateur de l'ordre aux dépens de Tagent de police.
C'est ainsi qu'en laissant s'altérer et se vicier des institutions utiles et nécessaires dans leur principe , les gouvernements risquent de fausser pour des siècles Tesprit des populations les plus sensées et les plus intel- ligentes.
(1) Il faut reconnaître que depuis Tinstitution des sergents de ville, ce préjugé populaire s'est un peu modifié; mais cela n'infirme en rien la justesse de notre observation, prise dans sa généralité.
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90 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
CHAPITRE VIL
DES JUSTICES NON-LIBRES PROPREMENT DITES; JUSTICE DBS villes; justice des petites communautés DE TERRES RURALES.
Des justices de villes.
Quand les Germains conquirent les Gaules, ce fut pour eux une chose toute nouvelle que l'aspect d'une ville et la notion romaine de la cité. Avec leurs habitudes d'in- dépendance altière et sauvage, la vie emprisonnée dans des rues et des remparts ne pouvait leur convenir. Elle excitait chez eux d'insurmontables aversions.
Aussi les premiers rois Francs donnèrent à leurs com- pagnons d'armes comme alleux libres ou immunités, les villes ou métairies de campagne, et firent gouverner ces villes par quelques-uns d'entre eux sous le nom de comtes.
Plus lard, sous les Carlovingiens, les comtes, à titre d'employés royaux ou impériaux, eurent, comme repré- sentants du pouvoir central, une juridiction qui s'étendit sur les hommes libres, quoique différente de celle qui
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leur avait été concédée dans le principe sur les Gallo- Romains, habitants des villes.
Les rapports des comtes avec les libres tenanciers comprenaient principalement, comme nous l'avons dit, la police, la justice et le service militaire; ils reçurent bientôt une telle extension, que les comtes, obligés d'ail- leurs de s'absenter souvent pour conduire leur contingent d'hommes d'armes dans les expéditions guerrières com- mandées par le prince, furent dans l'impossibilité de régir personnellement la cité ou le comitat urbain {\). Gela les força à instituer un magistrat chargé de les remplacer dans l'administration des villes et de leur banlieue ; ce magistrat s'appela vicecomes , qui vicem comitis gerebat. La preuve que ce fut bien là, dès le principe, l'emploi du vicomte, résulte de l'édit de Piste, qui s'exprime ainsi, art. 14 : « Habeat in civitate « unusquisque cornes vice-comitem suum cumduobus « hominibus. »
Les petites communautés de campagne qui dépen- daient des villes étaient régies par des centeniers, soumis hiérarchiquement au vice-cornes ou vicomte.
(1) On trouve sans cesse dans les actes législatifs du moyen-âge, non-seulement sous les Carlovingiens, mais sous les Capétiens, le mot de Comilalus, employé dans ce sens; ainsi dans te dolalilium de Richard m de Normandie est mentionnée : Civilas Constantia cum comitalu ( Scriptores rerum francicarumj collection de D. Bouquet, t. X, p. 270). Plus tard, le comitat de*Beauvais est donné à l'évéque de Beauvais en ces termes : « Omnes exactiones et reditus comitatus in suburbio Belvacensis, et quidquid pertinebat ad comilalum in villis subter ad notatio medietatem comUalus quae dicitur Serientest etc. (Roberii régit diplomala xxv; Scriplor. rer. fr. t. x, p. 597.)
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Mais dans le désordre hiérarchique qui précéda et accompagna la féodalité, les comtés se démembrèrent, se fractionnèrent, et subirent mille révolutions diverses. Avec son admirable esprit d'analyse, M. Guérard résume ainsi les divers ordres de comtés qui se formèrent sur le sol de la France : « Il y eut dans la Gaule plusieurs € ordres de comtés. D'abord, le comté comprit tout le « territoire de la cité ou du diocèse ; dans le second <i âge, il ne comprit souvent qu'un district de la cité ; « puis il s'en forma encore d'autres aux dépens des a anciens, et ces nouveaux comtés ne s'étendirent que « sur des comtés ou sur des subdivisions de districts. « Enfin, au milieu du bouleversement général qui « précéda la chute de la seconde race, on vit naître des « comtés qui ne renfermèrent souvent qu'une ville ou un « bourg, ou un château (1 ) . »
On comprend que parmi ces révolutions politiques qui s'étendaient sur tous les points du sol de la France, les rapports originaires entre les comtés et vice-comtés furent presque partout complètement dénaturés ou entiè- rement brisés. Beaucoup d'anciens vicomtes, en se déta- chant de la juridiction des comtes, et en se rendant indépendants, devinrent les seigneurs souverains de la portion du comitat dont ils n'avaient été dans le principe que les vice-gérants. Ils prirent eux-mêmes quelquefois le titre de comtes, comme chefs d'une fraction impor- tante du comitatus : d'autres fois, possesseurs et habi-
(1) Essais sur le système des divisions lerrilorides, p. 53.
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tanls de la forteresse ou du château qui dominait la ville ou le bourg, nrbem autpagum, ils prenaient la dénomi-- nation plus modeste de châtelain. Du reste, sous quelque nom que l'ancien vicomte eût brisé le lien qui rattachait au comte, et qu'il eût constitué un fief indépendant, il entrait dans la catégorie générique des hauts-barons.
Mais le vicomte ne brisa pas partout ces vieux liens de dépendance ; dans beaucoup de lieux, les comtes gardèrent assez de pouvoir pour empêcher le démem- brement du vice-comitat et pour conserver dans leur ancienne sujétion les villes et les terres non-libres. Dans ces vastes domaines, le nom, et même à un certain degré, l'institution du comte carlovingien continuèrent de subsister : et c'est ainsi que nous retrouvons, au com- mencement de la féodalité, des vicomtes dans le sens primitif qu'on attachait à cette qualification : ce sont de véritables lieutenants du comte , rendant la justice et levant les impôts en son nom. Seulement, dans les comtés où il n'y avait pas de ville ni de bourg, il n'existait pas devicomte ; mais d'autre part, il pouvait y avoir plusieurs vicomtes dans ceux où il y avait plusieurs villes.
Quelquefois le comte remplissait lui-même à l'égard du prince l'office de vicomte, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un préposé à lui qui portait ce nom. C'est à un rapport de ce genre que fait allusion un diplôme du roi Robert à propos d'une donation faite à une église. « Que nul officier, dit-il, soit comte, soit vicomte, ne « s'attribue le plein domaine dans la ville même qu'il « administre, soit pour le ban, soit pour les lois, soit
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<( pour l'impôt, soit pour rétablissement des servitudes « ou usages appelés vulgairement coutumes (1). »
Mais cette bizarre complication de rapports hiérar- chiques devenait de plus en plus rare à mesure qu'on avançait dans le moyen-âge, et en dépit des décrets prohi- bitifs des rois, les comtes oflSciers devenaient inévitable- ment des comtes suzerains.
Quoi qu'il en soit, on doit comprendre maintenant ce que fut la vicomte dans son essence originaire , et on voit qu'elle continua sur quelques points de subsister d'une manière à peu près identique dans le temps même de la féodalité. Le vicomte de cette époque n'a ni cour de baron, ni justice àQmedii liberi; mais il exerce sa propre justice et tous les droits de son suzerain ^ur les habitants non libres des villes et terres soumises à sa juridiction. Les petites communautés de campagne dé- pendant des villes étaient régies par des employés infé- rieurs, nommés prévôts, prœpositi y lesquels étaient eux-mêmes subordonnés hiérarchiquement au vicomte. Dans les villes mêmes, on plaçait quelquefois un prévôt à côté d'un vicomte : mais la compétence du premier était bornée sous le rapport du lieu , ratione loci, par l'enceinte même de la ville ou du bourg , et sous le rapport de. la matière, ratione materiœ, par le blut- bann on jugement des affaires de sang, dont la connais-
(1) Ui nnWus offlcialis habeat îd ipsa villa dominium, sîve corner, sive vice-cornes : neque îd banio, neque îd legibus, oeque in fredis, neque Id usu aut debito quem coslumam vulgo nuncupant. Diploma xxt, Ro- berli régis ; Script, rer, francicarum, t. x,p. 587.
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sance était réservée au vicomte, comme représentant du suzerain.
L'exemple le plus connu de ces rapports hiérarchiques de la féodalité se trouve dans la vicomte et prévôté de Paris : Ik, comme partout ailleurs, la prévôté était com- prise dans la vicomte et lui était subordonnée; ces deux institutions réunies formaient une complète organisation judiciaire à l'égard des habitants non libres ou non nobles : cette organisation était juxtaposée à l'organi- sation féodale proprement dite, et la justice prévôtale se mouvait parallèlement à celle de la cour de baronnie du roi, considéré comme duc de France, et à celle des autres cours féodales de divers degrés.
L'histoire des vicomtes se lie donc à celle des villes.
Maintenant il faut distinguer deux époques dans l'his- toire des villes au moyen-âge : celle de l'ancienne consti- tution, et celle de la révolution communale. C'est pendant la^ première période que le vicomte a eu sa plus haute importance politique et administrative, et c'est précisé- ment celle qui est entourée pour nous de la plus grande obscurité. Nous savons très-peu de chose sur le régime particulier et l'organisation des villes antérieure aux viii* et IX® siècles^
On doit remarquer que les villes qui ont couvert notie sol au moyen-âge ont eu diverses origines. Les unes étaient de vieilles cités romaines ou gallo-romaines, qui avaient conservé leur existence, au moins matérielle, au milieu des ravages des barbares : celles-là avaient vu nécessairement leur indépendance municipale à peu près
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détruite OU totalement opprimée ; elles avaient peut-être essayé de conserver quelques débris de liberté, mais ces libertés avaient dû leur être graduellement arrachées par les seigneurs, qui faisaient construire des tours et des forteresses au milieu de leur enceinte, et qui y plaçaient leurs vice-comités avec les pleins pouvoirs de leur tyran- nie féodale.
D'autres villes tiraient leur origine des agglomérations de maisons formées par des paysans, colons ou serfs, qui se groupaient autour et au-dessous d'un château occupé par quelque puissant baron. Ces serfs, qui avaient cherché sous les aîles de leur seigneur une protection matérielle, y trouvaient aussi une protection morale : ils finissaient par obtenir des chartes ou lois qui les faisaient sortir du régime de servage et de bon plaisir pour leur donner une sorte de quasi-liberté. Les seigneurs voyaient de meilleur œil ces humbles vassaux, qui demandaient comme une pure faveur l'octroi de quelques garanties, que les bour- geois des vieilles cités, qui réclamaient comme une espèce de droit traditionnel les libertés dont avaient joui leurs ancêtres : le plus souvent, ils* resserraient les chaînes de ces cités qui leur faisaient ombrage, tandis qu'ils relâ- chaient les liens qu'avaient portés de temps immémorial leurs serfs paysans, fondateurs des petites villes juxta- posées à leur manoir baronnial.
Il y eut enfin une troisième origine pour les villes du moyen-âge: nous parlons de celles qui se fondèrent à l'ombre des abbayes et des monastères , comme la Chaise-Dieu, Cluny, Clairvaux, etc. Là, régnait un ser-
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vage très-adouci, qui empêchait de songer à un régime de liberté ou au moins de le désirer vivement. .
C'était tout le contraire dans les vieilles cités où pesait le joug du vicomte ou du baron lui-même. Fati- guées de cette domination, ces villes tendirent à rompre le lien qui les rattachait à la terre baronniale, et à cher- cher en elles-mêmes leurs moyens de défense.
Cependant ce lien continua longtemps de subsister, quoique modifié ou affaibli. Dans beaucoup de villes, les com|es ou barons conservèrent des baillis ou employés qui continuèrent de rendre la justice et de conserver la plus grande part dans l'administration. Du reste, il était ordonné, du moins conseillé au vicomte et au bailli , de faire participer quelques notables bourgeois à leurs jugements, et de les faire concourir à l'administration de la cité. C'est ce qui résulte de ce passage de Beau- manoir : « Es liex où les baillis font les jugeraens, quant « li baillis a les paroles receues et eles sont apoiés à « jugement , il doit apeler à son conseil des plus « sages et fere le jugement par lor conseil ; car s'on « appelé du jugement et li jugement est trovés malvès^ <( li baillis est escusés de blasme quand on set qu'il le « fist par conseil de bones gens et sages (1). » Ainsi la présence de notables aux jugements est considérée non pas comme une chose essentielle et nécessaire, mais comme un acte de politique sage et comme une garantie a regard de l'opinion.
(1) Coul. du Beauv.f i, 13. II
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Lorsque les villes commencèrent à se gouverner d'après une constitution qui leur fut propre , alors la justice tendit à se transformer, et il y eut des combats de juridiction entre le vicomte, représentant de la féoda- lité, et le prévôt, représentant de la bourgeoisie nouvelle.
Dans plusieurs grandes cités, la prévôté devint telle- ment puissante que, dans la lutte entre cette magistra- ture municipale et la vicomte féodale, ce fut la vicomte qui fut supprimée comme superflue. Quelquefois la vicomte resta d'abord juxtaposée à l'organisation com- munale , comme représentant quelque vieux droit féodal des anciens seigneurs, et plus tard , en même temps que ces droits, la vicomte entière fut abolie. Alors la dénomination de vicomte finit par ne plus désigner un emploi , mais bien un titre de noblesse. La dernière vicomte proprement dite périt dans lexiv' siècle ; seulement le nom de vicomte resta à quelques emplois locaux. Dans l'intérieur de la ville de Paris, le seigneur , ayant renoncé de bonne heure à avoir des vicomtes (1), avait remplacé cette magistrature par l'éta- blissement d'un tribunal qui relevait de sa juridiction propre, celui du Châtelet.
{!) On n'en connaît point après Fako, mentionné dans le Petit Poitoral de l'Eglise de Paris; il vivait en 1027. Grimaldus avait été le premier de ces vicomtes nommé par le comte de Paris Hugues le Grand. A Grimaldus avaient succédé Theudo, Adaleline, puis enfin Falco. [Hisl. de la viUe de Paris, par D. Félibien, tom. i, liv. m, pag. 117). La pr^d(^ de Paris comprenait la ville même de Paris, et elle était distincte de la vicomte de Paris, qui, api^s même Fabolition d«s vicomtes , comprenait toute retendue de la châtellenie.
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Brussel rapporte un édit du comte de Champagne relatif à la Ferté sur Aube. Cet édit offre un exemple remarquable d'un conflit et d'un règlement de juridic- tion entre un vicomte et un prévôt»
« 1° Il m'appartient, dit le comte de Champagne, « d'établir un prévôt à la Ferté, et le vicomte ne doit « ni ne peut y contredire.
« Ce prévôt, que j'aurai établi, doit aussitôt s'aller « présenter au vicomte, et lui dire qu'il est mon prévôt a elle sien
« 5° Le préi/ôtira quand il le voudra dans la vicomtéT « et il y tiendra ses plaids, et fera sa justice s'il est « nécessaire. Sur ce qui en proviendra, il prendra sa « dépense, et quant au surplus, il lui en appartiendra le « cinquième, et ce qui restera sera partagé par moitié, « entre moi et le vicomte
« 8"* Quand le vicomte fait sa tournée dans la vi- « comté, il a droit de faire justice de tous flagrants « délits qu'il y trouve
« 13"* La justice du grand chemin m'appartiendra « et au vicomte , depuis l'orme de Bréçons jusqu'à « Juilly de Perrecuns, etc. (1). »
Cet édit fut rendu sur une enquête faite par trois chevaliers commis à cet effet par le comte Thibaut , en l'an 1199, pour étudier et reconnaître les droits res-
(1) On peut voir le texte latin de cet édit, dont nous ne citons que <]es fragments, dans Brussel, DeVmage des fiefs, tom. iijiv. ni; pag. 682 et suivantes.
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peclifs du vicomte et du prévôt. On voit par là que les limites respectives de ces droits n'avaient rien de pré- cis, et qu'il y avait « telle vicomte sous un comte , à « laquelle étaient attachés plus de droits qu'aux autres « vicomtes tenues sous ce même comte (1). » On y remarquera également que si la supériorité hiérarchique des vicomtes y est conservée, et si on leur laisse encore percevoir la plus forte part dans les amendes, la part d'action et de juridiction du prévôt s'accroît de plus en plus, et on peut déjà prévoir le temps où l'emploi de vicomte deviendra tout à fait une sinécure.
Là où les communes s^étaient affranchies, et où les bourgeois avaient acquis une juridiction et une justice indépendantes, ceux-ci ont, dans leurs tribunaux d'éche- vins, la même compétence que les prévôts possédaient antérieurement. Mais le vicomte y conservait encore pour quelque temps, au nom du comte, des droits plus ou moins étendus.
Que Ton consulte, par exemple, la charte d'Abbeçille ; on y verra que le vicomte, vices comitis gerens, avait le produit de la confiscation de tous les biens pour les crimes de vol, concussion, spoliation , etc. Le voleur , 4'après les termes mêmes de cette charte, doit être jugé par les échevins, et subira la peine du pilori : ce sera au vicomte de faire procéder à l'exécution, parce que la
(1) Brussel, /2»t({.,pag. 684. Tout ce chapitre de Brussel, sur les vicomtes considérées comme fiefs, est fort instructif à ce sujet et mériterait d'être étudié par quiconque voudrait s'occuper spécialement de cette question de droit historique et féodal.
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voirie de la banlieue lui appartient. La procédure par gages de bataille reste également de la compétence du vicomte. D'un autre côté, les crimes contre la commune et contre ses membres ou représentants , tombent sous la juridiction du tribunal des échevins jurés et du maire (juratorum et majorisj, pour la sentence tout comme pour l'exécution , même quand il s'agit de la peine de mort. De telles dispositions sont le caractère essentiel de toute commune jurée : il faut qu'elle puisse offrir du secours à ses membres contre toute espèce de violence. Le privilège qu'avait tout juré ou bourgeois de ne pouvoir être jugé que par les jurés de sa propre commune était poussé si loin, qu'il le conservait même lorsqu'il était accusé d'un outrage personnel contre le comte ou le vicomte ; ces délits eux-mêmes , quoique d'une nature au moins mixte, ne devaient pas être jugés au tribunal du comte, mais à celui de la commune ; le principe de juridiction ratione personœ l'emportait sur celui ratione mate- riœ (1).
On verra plus tard que dans les villes où la vicomte avait péri, sans que la commune eût hérité de sa juri- diction, un tribunal criminel spécial avait été créé pour la remplacer dans sa compétence judiciaire.
Pendant qu'il s'opérait ainsi de véritables révolutions dans les justices des villes, ,1a juridiction non-libre des
(1) Art. 2, 5, 7, 8, 19, 20 et 16 (le dernier cité) de la charte d'Ab- beviile, dont le privilège primitif date de 1184, et dont Tordonnance de confirmation, à la date de 1350, se trouve dans le Recueil des ordonnances des rois de France, t. iy, p. 53.
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petits habitants des campagnes restait immobile dans son ancien état.
§ II. Des justices des petites communautés do terres rurales.
Nous comprenons sous ce nom de petites commu- nautés de terres, celles qui s'étaient formées en dehors des aggrégations de nobles ou de medii liberi, et qui se composaient entièrement de vilains ou de serfs. Elles sont, par conséquent, les éléments non-libres de la constitution féodale. Leur histoire est fort obscure, et le voile même dont elle est couverte a une signification fort expressive. Autant qu'on peut en juger, il semble que l'arbitraire du seigneur n^y avait aucune espèce de contrepoids : tout devait y marcher suivant la volonté personnelle, et par conséquent arbitraire , de l'employé féodal. Cependant, comme une administration trop dure et trop inique aurait provoqué des émigrations, malgré la loi qui rattachait le serf à la glèbe, les seigneurs, qui avaient besoin de bras pour cultiver leurs vastes posses- sions, étaient intéressés à ce que leurs préposés subal- ternes ne violassent pas les droits de la justice à l'égard de leurs paysans. Les barons qui gouvernaient leurs sujets avec le plus de douceur étaient récompensés de leur bonne gestion par l'immigration des hôtes, qui venaient du dehors leurs demander un gîte et des terres à défricher , moyennant certaines garanties de sa part et
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certaines redevances de la leur. C'est dans cette classe d'hôtes [hospites] que l'on trouve quelques traces d'une justice féodale non entièrement arbitraire. Du reste, parmi les privilèges qui leur furent accordés et qui existent encore dans nos recueils, la plupart ne disent rien de la haute justice locale; ce ne sont que des som- maires très-abrègès de la confirmation de certains impôts et de la diminution des amendes judiciaires. Cependant on voit dans quelques-uns que ces commu- nautés but des prévôts, prœpositos, chargés de rendre et de garder la justice. Par exemple, le privilège de Bois- communs, à la date de 1186 (art. 7 et 8), dispose que les hôtes de ce lieu doivent comparaître en justice devant leur prévôt, et (art. 12) que le prévôt rendra aussi la justice criminelle , ajoutant que si le criminel s'est accordé avec l'offensé avant l'appel du prévôt, il ne devra payer aucune amende (1). Le privilège de Voisines, à la date de 1187, contient des dispositions à peu près semblables. Là, l'assignation du prévôt vaut quatre deniers. Le prévôt est en même temps collecteur des impôts (2). Pour les hôtes d'Àugéré-Régis , il est statué expressément que les hôtes paieront quatre de- niers pour leur admission, et six deniers de cens annuel au prévôt (3). Cependant, d'autres petits hospitia n'ont
(1) Recueil d'ordonnances de nos roisy t. iv, dans le supplément pour le règne du roi Jean. Ce privilège fut confirmé eu 1351, p. 72. Voir aussi les privilèges donnés par Villeneuve de Compiégne, en 1177, et confirmés en 1393,
(2) Ordonnances, t. yii, p. 454.
(3) Ordonnances, t. vu, p. 427.
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point de prévôt spécial, mais seulement un sergent du seigneur; tels sont les hôtes de Villeneuve, près d'Etampes. Une ordonnance de 1196, relative à ce lieu, dit : « Servientem ibi constituimus ad velle nos- trum (1). » Servientem signifie certainement un ser- gent assermenté, lequel était subordonné à quelque prévôt établi dans un village voisin.
Le vicomte de la ville de qui dépendait cette juridic- tion locale se réservait les cas de haute justice dans les hospitia. *
(1) Ce privilège est remarquable par les termes du préambule : a Debemus impensa beneficii pauperes inviiare miser icorditer ut sub « nostrdB defeosionis tuitione venire possent securiores ea contem- « platiooe, t'erram dedimus ad hospitandam. d Ce privilège fut con- firmé en 1394. Ordonn., tom. vu, p. 684.
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CHAPITRE Vril.
DE LA PAIRIE EN FRANCE DANS SON ORIGINE ET SES DÉVELOPPEMENTS.
DES PAIRS PRINCIERS OU PAIRS DE FRANCE.
DE LA COUR DES PAIRS DITE Cllria regîs, ET DES GRANDES ASSISES.
i 1^^
Les pairs de la cour du roi furent pris parmi ces grands seigneurs qui avaient le titre spécial de comte ou de duc , mais qui étaient connus sous le nom générique de princes : tels étaient les ducs de Bourgogne, de Bre- tagne et de Normandie ; les comtes de Champagne, de Flandres, etc.
Quelques-unes de ces principautés ont été formées comme de petites nationalités séparées , dont le duc était le représentant (1). Mais d'autres ont eu pour seule origine la réunion de plusteurs baronnies dans la main d'un seigneur devenu prépondérant, et la recon- naissance manifeste et officielle de son autorité prin- cière par les autres seigneurs du pays. ^
(1) Le comte ne représentait pas une nationalité : c'était plulôt le duc.
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Quelle que fût la source de ces suzerainetés princiè- res, elles avaient toutes besoin, pour se constituer et se maintenir, d'être ainsi reconnues par la noblesse terri- toriale de la contrée, et la forme de cette reconnaissance était ce qu'on appelait la foi (fides), ou le serment de fidélité.
Il ne faut pas confondre la foi prêtée aux princes avec Y hommage rendu pour la réception du fief. La foi proprement dite n'emportait, à l'égard des princes, que « la reconnaissance de leur haute dignité première et « l'inviolabilité de leurs personnes et de leurs inté- « rets (1). » Elle ne renfermait donc aucune idée de dépendance personnelle et judiciaire ni aucun autre lien que celui d'obligations mutuelles et réciproques. Pour prouver ce que nous avançons, nous citerons un vieux document qui ne laisse aucun doute à cet égard.
Le duc Guillaume d'Aquitaine s'était adressé à l'évê- que Fulbert de Chartres, comme à un politique savant et distingué, pour qu'il voulût bien lui expliquer la signification et la portée du serment de fidélité qui lui était dû. Voici quelle fut la réponse de l'évêque :
« Fulbert à Guillaume^ duc d'Aquitaine.
« ..,. Puisque le glorieux duc d'Aquitaine veut bien « me consulter et m^ demander ce que je pense du sens « contenu dans la formule du serment de fidélité, je
(1) Cette inviolabilité personnelle était un immense privilège, dans ces temps de guerres privées.
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« vais lui transmettre ce que j'ai recueilli à ce sujet « d'après les renseignements de plusieurs hommes « libres. Celui qui prête à son seigneur le serment « de fidélité, doit avoir constamment six choses pré- « sentes à sa mémoire (par rapport à son seigneur) : a V inviolabilité, la sûreté, V honnêteté, Yutilité, « la facilité, la possibilité . V inviolabilité , c'est-à- « dire qu'il ne doit être fait aucun dommage au sei- « gneur dans son corps ; la sûreté consiste à ne porter « aucune atteinte à son trésor secret ou à ses muni- « tions qui servent aie garantir de tout danger ; l'Aon- « nêteté veut qu'il n'éprouve aucune lésion, soit dans « sa justice, soit dans ses autres prérogatives ; Vutilité, « qu'il ne reçoive aucun dommage dans ses posses- <( sions ; par la facilité [et la possibilité , on entend « qu'on ne doit pas lui rendre difficile ce qu'il pouvait « faire sans peine, ni lui rendre impossible ce qui lui « était possible. Il est de toute justice que le fidèle se « garde de nuire à son maître en aucune des manières « désignées ci-dessus ; mais ce n'est pas seulement par « là qu'il méritera d'éviter une proscription ; car il ne « suffit pas de s'abstenir du mal, si on ne fait pas ce « qui est bien. Il reste donc à dire que dans les six « cas mentionnés plus haut, il doit fidèlement donner « son conseil et prêter ses secours à son seigneur, s'il « veut se montrer digne de posséder le fief qu'il a reçu, « et s'acquitter de la fidélité qu'il a jurée. Le seigneur « doit aussi rendre la pareille à son fidèle en toutes <i choses. Si ce dernier manque à son devoir de fidé-
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108 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
« lité, il passera à juste titre pour être sans foi ; tout « comme si le fidèle était pris, soit comme aateur, soit « comme complice, en flagrant délit de prévarication, « il serait considéré comme perfide et paijure (1). » Cette lettre peut servir à expliquer tous les passages des monuments de ce temps où se trouve l'expression de fidélité ou de foi (fidesj sans que celle A'homagium y soit jointe. Telle est encore celle où Hugues Capet demande au marquis Barrelus de venir prêter le ser-
(1) Voici le texte latin, qu'il nous a paru important de reproduire:
i< Ad WiUelmum, dueem Aquitanorum.
« Gioriosissimo duci Aquitanorum Wiileimo, Fulbertus, episcopus a orationîs suffragium. De forma fideiitalis aliquid scribere monila a hsec vobis, quae sequunlur, breviter ex liberorum auctorilate notavi. (1 Qui domino suo Odeiitatem jurât, istasex in memoria semper ha- « bere éebei : incolume , tulunif honeslum, ulile^ facile y possibUe. « /nco2um« , videlicet ne sit domino in damnum de corpore suo. M Tutum, nesit et in damno de secreto suo, vel de munitionibus, (< per quas tutus esse potest. Honeslum , ne sit ei in damno de « justitia sua vel de aliiscausis, quae ad honestatem ejus pertinere u videntur. Utile, ne sit ei in damno de possessionibus. Facile vel n possibUe, ne id bonum quod dominussuus leviter faccre poterat, « faciat ei difficile; neve id quod possibiie erat reddat ei impossibile « (ut autem fldeiis haec nocumentacaveat, justum est; sed non ideo « casamentum meretur: non enim suffîcit abstinerea malo, nisifiai « quod bonum est). Restât ergo,ut in eisdem sex supradictis consiUum a et auxilium domino suo fideliter prœstet , -si beneficio dignus videra « velit (a), etsalvus esse fideiiiate quem juravit. Dominus quoquefideli « 8iu) in omnibus vicem reddere débet. Quod si non fecerit merilo i\ censebitur malefidns; sicut ille si in eorum praevaricatione vel fa- it ciendo vel consentiendo deprebensus fuerit, perûdus et perjurus. »
(Scriplores rerum francicarum, t. x, p. 463, parD. Bouquet et ses continuateurs, de 1020 à 1028.)
(a) Cette pièce étant da xi« siècle, il est évident que le mot l/eneficium doit se prendre dans le sens de fief.
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ment de fidélité entre ses mains : <( Si vous voulez, « dit-il, conserver la foi que vous nous avez fait offrir « à nous ou à nos prédécesseurs par vous-même ou « par des intermédiaires, avancez-vous vers nous avec « quelques-uns de vos hommes d'armes ; venez con- <i fîrmer en nos mains la foi promise, et guidez notre <i armée dans les bons chemins, etc. (1). ^ On pourrait multiplier à Tinfini des exemples de ce genre. Mais cela serait inutile pour le but que nous nous proposons.
Maintenant nous allons montrer quelle était la consti- tution judiciaire de ces principautés de notre vieille France, fondées sur la double base d'une nationalité commune et de la fidélité jurée avec le caractère de la réciprocité féodale.
§ II.
Aux assemblées générales des hommes libres, dites . Champs de mai ou Champs de mars, avaient succédé les assemblées des grands, concilia^ qui, sous la seconde race et après le ix* siècle, se tinrent souvent autour du trône, quand des circonstances importantes l'exigeaient. Cependant ces conciles des grands et des évoques n'avaient en droit, malgré une très-grande autorité réelle, qu'un pouvoir essentiellement consultatif.
(1) Si ergo fidem, nobis nostrisque antecessoribus per internuntios oblatam conservare vultis, — cum paucis ad nos usque properate ut et fidem promissam confirmetis, et yias exercitui necessarias doceaiis (Gerberlis Epislolœ; Scriptores rerum francicarum, t, x, p. 393.)
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Ce pouvoir se transforma dans les époques qui suivirent. Avec la dissolution de la royauté elle-même devait avoir lieu la dissolution du conseil royal des grands ou optimales. Mais à ces conseils d'optimales succéda une oligarchie encore plus étroite, celle des princes. Or, les princes, premiers entre leurs égaux, qui étaient les barons, représentaient ces barons, devenus souverains eux-mêmes dans l'étendue de leurs baron- nies. En siégeant auprès du roi , qui la veille n'était qu'un prince comme eux , leur pair , ils semblaient apporter un droit départage dans la décision des grandes affaires qui lui était commune avec eux, un pouvoir non plus consultatif, mais délibératif.
On distinguait les pairs simplement nobles qui com- posaient la cour du baron, et les pairs princes, appelés plus tard pairs de France , qui composaient la cour du roi.
Les barons , fièrement assis sur leurs domaines , étaient à l'égard du prince ce que le prince lui-même était à l'égard du souverain ou roi. L'indépendance per- sonnelle dont ils jouissaient garantissait l'indépendance politique qu'ils apportaient auprès de leur prince, où ils formaient ce qu'on appelait la cour suprême de baronnie ou grande assise proprement dite. Tous les barons souverains qui avaient le droit de prendre part à cette réunion politique et judiciaire s'appelaient pairs, et si l'un d'entre eux avait un procès, il appartenait à la juridiction de cette même haute-cour, dont il ne ces- sait d'être membre que pour en devenir le justiciable.
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Il y avait donc des pairs de deux degrés : ceux qui formaient la cour princière ou cour de baronnie, et ceux qui formaient la cour même du roi.
La cour de baronnie était à Tégard du prince dans le même rapport que la cour du baron l'était au baron lui-même. Ces formes parallèles de Tinstitution féodale peuvent s'éclaircir les unes par les autres.
La forme de convocation employée par les princes pour convoquer les barons s'appelait semonse.
Du reste, les termes de cette convocation n'avaient rien de sacramentel ; ils dépendaient de la volonté arbi- traire du baron, ainsi que l'époque même où elle devait être fixée. L'obligation étroite d'y paraître semble ne s'être rapportée qu'aux affaires judiciaires , auxquelles se joignaient quelquefois les affaires administratives et les promulgations ou interprétations des lois et des coutumes, les publications de privilèges octroyés, et d'a$mrements concédés ou convenus. Cependant cette obligation ne portait pas atteinte à l'idée de la souve- raineté du baron , dans l'étendue de ses domaines pro- pres. Le serment de fidélité n'y dérogeait qu'en créant le devoir d'assister aux conseils du prince et à sa cour plénière. Souvent la cour plénière , où étaient convo- qués non-seulement les pairs de la principauté , mais des barons et seigneurs des principautés voisines , avait pour but principal l'étalage d'un luxe fastueux et d'une grande puissance. C'était en même temps une occasion de fêtes et de plaisirs, au milieu desquels les affaires n'occupaient qu'un rang bien accessoire, ou étaient
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même totalement oubliées. Ainsi Guillaume le Conqué- rant rassemble tous ses barons autour de lui par un édit royal, pour que leur suite nombreuse lui fasse un digne cortège lorsqu'il doit recevoir à sa cour les am- bassadeurs des nations étrangères (1). Plus tard, Char- les le Téméraire fera briller l'élégance de ses officiers et de ses barons à sa cour de Bourgogne; il profitera non-seulement de la tenue de ses justices, mais de ses préparatifs de guerre, pour montrer avec ostentation les parures militaires et la noble tenue de ses chevaliers, tandis que lui-même demandera aux beaux arts de cise- ler ses armures et d'y semer avec goût de magnifiques pierreries.
Lors même que le principal n'était pas oublié pour l'accessoire, et que l'on s'occupait avant tout dans les grandes assises d'affaires et de jugements, aux officiers et aux suivants des hauts-barons se joignait un grand concours de chevaliers, de nobles et de bourgeois, soit de la ville où se tenaient ces assises, soit des campa- gnes environnantes (2] . Dans des assemblées ainsi com- posées, s'il s'agissait de simples promulgations d'édits princiers, qu'accueillait l'assentiment général, on n'aurait pas trop su distinguer ceux qui avaient à exprimer des
• (1) Oranes — cujuscumque proPessionis Magnâtes regium edictum
accessebat, ut externarum geniium legali speciern multitudinis mira- rentur, etc. (Malmesbury, Scriptor, rer. francicarum, t. xi, p. 190.
(2) Voir une assise de ce genre tenue par Philippe i^, à Compiègne, et appelée par Montfaucon : Colîoquium puhlicum. (Montfaucon, De re diplomalidaf p. 580.)
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suffrages de ceux qui n'étaient que simples spectateurs. Il en était autrement quand on s'occupait de matières législatives ou judiciaires. Alors Taffluence d'assistants distingués ne faisait que donner aux débats du conseil ou tribunal des hauts-barons une publicité plus grande, ce qui était encore une garantie pour la liberté.
Dans le premier cas , il n'était pas rare que la plu- part des spectateurs missent leurs noms au bas de ces actes princiers auxquels on voulait imprimer une au- thenticité et une solennité particulières.
Dans le second cas , la réunion qui formait les assises proprement dites n'était composée que des pairs et des hauts-barons , présidés par le prince , lequel était en outre assisté de ses grands-officiers , et de son chance- lier, porteur de son sceau. Alors encore, si on avait pris des mesures d'intérêt public , on demandait sou- vent aux assistants de confirmer par leur consentement ce qui avait été décidé dans la réunion des hauts-barons : <i unanimiter convenerunt et assensu publico firmor- « verunt (1).
On peut considérer en troisième lieu, la grande assise comme une espèce de tribunal baronnial constitué sous la présidence du prince» Ce tribunal de pairs, ou cour de baronnie , avait spé-
(1) Celte formule se rapporte à une assise tenue par Philippe- Auguste, en 1216. On peut citer aussi des assises semblables tenues en Champagne, Tune en 1185, sous le comte Geoffroy, Tautre en i224, sous le comte Thibaud. Voir pour les premières , les arrêts du parlement de Bretagne, par M. Sébastien Frain; pour les- deuxièmes, Brusstl, ouvrage déjà cité, Preuves^ t. ii, p. 879. II 8
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cialement juridiction sur le baron , clans trois cas prin- cipaux. C'était premièrement quand le baron avait rompu le lien de la fidélité qu'il devait à son prince. Dans ce cas, le prince avait l'un de ces trois partis à prendre : ou déclarer la guerre privée au yassal félon et lui arracher son fief, ou le citer devant la cour des pairs de sa principauté, ou enfin, s'il se croyait trop faible pour le forcera y comparaître, l'assigner par-devant la cour du roi de France, dont le pouvoir joint au sien devait triompher de toutes les résistances.
Le deuxième cas de compétence était celui de la lutte ou du procès de deux barons : il y avait pour eux deux voies à choisir. La première consistait à employer hfehde ou guerre privée, laquelle aboutissait d'ordinaire à une transaction; car ces parties contendanles finissaient par recourir à un arbitrage , sans comparaître devant la cour du prince.
La seconde manière d'agir dans une affaire de cette nature , c'était , pour l'un des deux adversaires , de porterie procès devant cette cour en qualité de plaignant ou d'accusateur. Mais les mœurs de cette époque , qui s'en remettaient aux armes du soin de protéger le droit, interdisaient presque absolument une telle procédure, <îomme déshonorante, à tout seigneur et à tout noble chevalier; aussi on ne la trouve guère usitée, surtout aux x* et XI* siècles , que dans les contestations où l'une des parties est un membre de l'Eglise ou une com- munauté religieuse. C'est sur les instances de ces par- ties revêtues d'un caractère ecclésiastique, que nous
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voyons naître et se juger un grand nombre de procès dont de vieux documents, de vieilles chartes, nous ont conservé le souvenir. L'instruction de ces procès donnait lieu à des débats publics qui étaient suivis de jugements réguliers. En voici un exemple qui nous a paru instructif et caractéristique* C'est une sentence rendue en 1 020 par le roi Robert, à l'occasion de l'usur- pation à main armée d'une terre appartenant à l'abbaye de Jumièges. Sur la plainte des moines de cette ' abbaye , l'auteur de cette usurpation est appelé à comparaître devant le tribunal des princes siégeant à Senlis. ^ Là, « est censé dire le roi Robert, dans ce qu'on appellerait « aujourd'hui les qualités du jugement , là je lui or- « donnai de reconnaître et de réparer cet acte de « criminelle folie [ut ab hac insania resipisceretjussi) ; « je lui enjoignis de vider et délaisser tout ce qu'il avait <{ usurpé , terres cultivées ou terres incultes , vignes et « prés, église et dîme ecclésiastique, et de rendre au « monastère la totalité du domaine , franc et libre de <( redevances envers tout séculier ou laïque. Que si « l'auteur de cette criminelle violence tentait de la « renouveler , il serait frappé par la justice royale, et a condamné à payer une amende de dix livres d'or ; et, « à défaut de ce faire, il serait retranché par un dur « anathème de l'assemblée des saints. Et pour confir- « mer cette sentence, je la signe de ma propre main , et « la fais signer par mes fidèles dont les noms suivent le « mien , etc. »
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Voici ces subscrip lions :
Signum Régis; Henrici filii ejus, signum Odonis, comitis (forsè Blesensis); Ricardi, comitis Normanno- rum ; TTarnm^, vice-domini ; Letherici, archiepiscopi (Senonensis); Rogerii, episcopi (Constantiensis); jFm/- conis, episcopi; Azelini, episcopi (Lugdunensis).
II y avait donc dans ces tribunaux à peu près égal nombre de pairs ecclésiastiques et de pairs laïques. Cela était convenable à cause des qualités diverses des deux parties dans les espèces que présentent les procès ci-dessus analysés. D'ailleurs, les grandes dignités ecclésiastiques étaient assimilées aux titres princiers de la féodalité ; les évêques et les barons occupaient dans l'échelle les degrés correspondant, dans une sphère inférieure, à ceux où s'élevaient, dans la plus haute sphère , le pape et l'empereur.
De plus , des privilèges de seigneurialité tout à fait temporelle étaient attachés à certains sièges épiscopaux ou abbatiaux. C'est ainsi que le comté de Vienne avait été octroyé à l'église de cette ville par Rodolphe m ; la donation de celui de Beauvais, confirmée par le roi Ro- bert à l'évêque et au chapitre ; et enfin celle du comté de Montreuil , également confirmée à l'abbaye de Saint- Sauve, par Henri i*' (1).
Au surplus, on ne suivait aucune règle bien précise pour la composition et la constit^ution de ces cours : tantôt elles se rapprochaient par leur formation des
(1) Scriplores rerum francicarum , prdefalio, t. xi, p. clxixiii.
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placités de là première race; tantôt elles comp- taient un petit nombre de juges, plus ou moins grand suivant que le hasard ou l'intérêt personnel en avait plus ou moins amené au lieu où devaient se tenir les audiences.
Quant à la procédure, elle n'offrait point de moyens suffisants de contrainte légale. Quand un vassal se croyait assez puissant, il se moquait de l'assignation qui lui avait été donnée, et ne comparaissait pas. Quelquefois même, après avoir comparu, il quittait l'audience sans attendre la fin du procès, et allait chercher un abri contre la justice, derrière ses créneaux inexpugnables. Alors, à défaut d'armes temporelles, la cour employait des armes spirituelles; le baron récalcitrant était excommunié (1), jusqu'à ce qu'il eût comparu ou exécuté les arrêts delà justice. L'emploi de ces moyens moraux de correction, qui avaient une puissance, sinon immédiate, au moins à peu près sûre dans ces siècles de foi, explique encore l'utilité de la présence des évêques dans les cours des pairs, des princes et des rois.
Le troisième et dernier cas de la compétence de ces cours était l'appel ou appellation. Quoique l'appel ne
(1) Oo peut en trouver, entre autres, un exemple dans une lettre de Fulbert de Chartres, qui parle d'un comte appelé Rudolphus qui , ayant élé, pour beaucoup de méfaits, appellalus in curia régis et in plena ecclesiavocalus — ad jusliliam venire non dignatus, — a nobis tandem excommunicatus est (Fulb. Garnutensis episL lxi, ann. 1024. — Scriploreg rerum francicarum, t. x, p.473). — On pourrait montrer, par de nombreux exemples, que l'arme de l'excommunication était souvent employée à cette époque pour venir en aide à l'administra- tion de la justice séculière.
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devienne très -usité qu'à une époque postérieure, on ne peut pas douter qu'il n'ait existé dès le principe pour le seigneur qui éprouvait un déni de justice à la cour de son baron.
Du reste, le baron ne devait la fidélité à son suzerain qu'autant que celui-ci était toujours disposé à lui rendre justice. « Je ne manquerai jamais, disait le comte de « Flandre , à porter secours au roi de France , tandis « que mon dit seigneur voudra me rendre justice, et me « faire juger par ceux qui me doivent juger dans sa « cour (1). »
Le gouvernement féodal aurait donc présenté, dans ce système d'obligations réciproques , un type idéal assez régulier, si on en avait bien observé les lois, auxquelles l'Eglise ne refusait pas d'ailleurs saiaute sanction. Mais grâce à la faiblesse du lien féodal et à la violence des mœurs de cette époque, il y avait sans cesse des guerres privées, dans lesquelles les seigneurs se séparaient des princes , les vassaux luttaient contre les barons , les familles contre les familles, les frères ^contre les frères. Les voies pacifiques étaient ouvertes à tous, tous préfé- raient la voie des armes.
Nous n'avons dû parler ici que des cours de pairs proprement dites, soit de celles des princes, soit de celles des rois. Quand il ne s'agissait plus de discuter les querelles des hauts seigneurs entre eux, mais bien de
(1) Baluze, Miscellaneay t. vu, p. 251, année 1225.Préface des OKm, par Beugnot, elc.
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juger un cas de lèse-majesté, la cour, quoique compo- sée également des pairs de Taccusé, si Taccusé était un baron, s'appelait plutôt cour du roi, curia régis. C'est devant cette cour ainsi constituée que fut cité, sous le roi Robert, en 1 024, un certain comte Rodolphe, comme coupable d'avoir tué un clerc et d'avoir pillé les terres de l'église de Chartres. Nous avons dit plus haut que ce comte, se refusant à comparaître, fut frappé d'excommunication (1). Nous voyons un peu plus tard l'évêque Fulbert inviter, d'une manière pressante. Foul- ques Nerra, comte d'Anjou, à venir se laver, devant la même cour, du crime de lèse-majesté qu'il avait com- mis en donnant asile à quelques-uns de ses vassaux, ou satellites, qui s'étaient rendus coupables d'un indigne forfait en présence même du roi (2). Ce digne prélat mande k ce seigneur puissant qu'il finira par l'excom- munier, s'il ne se rend aux ordres de son souverain.
C'est ainsi qu'à cette époque, l'épiscopat secondait de tous ses efforts l'action de la justice temporelle. Il est naturel que, dan» les temps de désordre, ce grand pou- voir conservateur dans l'ordre moral, TEgtise, vienne au secours des puissances de Tordre politique, pour les aider à soutenir et à sauver les sociétés humaines.
(1) Voir la note €i-dessus, Urée d*une lettre de l'évêque Fulbert^ t. X, p. 473, des Scripiores rerum francicarum.
(2) Lettre du mime évéque, même ouvrage, même tome, p. 47ft.
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CHAPITRE IX.
DE LA COUR ROYALE DES PAIRS OU Curia rOgis.
Nous avoDS parlé à la fin du dernier chapitre de la curia régis, nom sous lequel on comprenait quelque- fois la cour des pairs. Cette cour était convoquée toutes les fois qu'on avait à juger quelque grand vassal de la couronne, un de ces ducs ou comtes dont l'au- torité princière était presque égale, dans leurs vastes domaiiffes, à celle du roi lui-même.
Suivant la théorie féodale, Hugues flapet et ses suc- cesseurs devaient avoir deux cours de justice, Tune comme suzerain du duché de France, Tautre comme roi.
Nous avons vu déjà fonctionner cette cour en la pre- mière de ces qualités, dans les arrêts que nous avons mentionnés dans le chapitre précédent : nous avons dit quelle peine on avait pour obtenir la comparution des seigneurs accusés devant la cour même de leurs pairs. " Et cependant , d'après une règle féodale généralement
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admise, les seigneurs comparaissants avaient un sauf- conduit pour aller , et même pour revenir , lorsqu'ils étaient condamnés, et qu'ils ne voulaient pas se soumet- tre au jugement de leurs pairs.
En voici un exemple mémorable :
Il s'agit d'un démêlé entre Bouchard de Montmorency et l'un des plus grands dignitaires ecclésiastiques dç France, Adam, abbé de Saint-Denis. L'abbé Adam et le baron de Montmorency « s'entredéfièrent et s'entrecoru- « rent sus alarmes, et ardi li uns à l'autre sa terre ; mes « cote novele vint tost au vaillant prince Looys , « qui mult en ot grant dédaing : celi Bochard fist tan « tost semondre de droit par devant son père Je roiPhe- « lippe à (Pency) Poissy le Chastel; ci se défailli dun « tost de droit oït et d'obéir au jugement de la cort, « et s'en parti de cort ensi ; ne por ce ne fut-il pas « retenu , car ce n'est pas costume en France. Mes « il aperçut bientost après quel paine doit portier le « sugiez orguelox vers son seignor (1). » En effet, le prince Louis, assisté de quelques barons, promène le fer et le feu sur les domaines de Bouchard de Mont- morency, le poursuit l'épée dans les reins jusqu'aux portes de son château, l'assiège et le force à deman- der rançon et merci. Le lier Montmorency est forcé de s'humilier , afin d'éviter une ruine complète , et il donne satisfaction pour les dommages qu'il avait faits
(1) CoUecUon des historiens de France , Grandes chroniques de France t dites de Sainl-Denys, p. 9 et suivantes.
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122 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
aux propriétés de Tabbaye de St-Denis, et qui avaient été la première cause de la guerre (1).
On voit, par cet exemple , qu'un baron , après avoir comparu devant la cour féodale, composée de ses pairs, pouvait faire défaulte de droit , comme nous Pavons dit ailleurs , désobéir au jugement, et retourner dans ses foyers.
L'espèce de paix ou de sauvegarde qui garantissait la sécurité de ces nobles accusés , quand ils venaient devant la haute-cour qui les jugeait , Jes accompagnait encore , même après leur condamnation ; et alors ils pouvaient, ou défier successivement chacun de leurs juges au combat judiciaire , ou se préparer à résister par la guerre privée , qui était encore un jugement de Dieu, à l'exécution de l'arrêt, exécution que le suze- rain, aidé de ses vassaux, ne manquait pas de pour- suivre par la force des armes.
La non-comparution du prévenu , après semonce , le faisait considérer comme coupable de droit, et lui ôtait toute chance d'être absous ; mais un arrêt de condam- nation contre un seigneur qui avait comparu, et qui ne voulait pas se soumettre à cet arrêt, ne s'exécutait pas autrement, après tout, qu'un jugement de contumace. Il fallait toujours avoir recours diVultima ratio regum.
Il est certain que Bouchard de Montmorency , qui n'était pas un prince ou grand vassal , fut jugé simple- ment par la cour féodale du duché de France.
(1) Vila Sugeriit même collection, même lomc, p. IS.
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Mais nous pouvons citer un fait qui prouve que la cour des princes ou des pairs du royaume existait an- térieurement comme juridiction reconnue. Ce fait est curieux en ce qu'il montre, dès le commencement de la monarchie capétienne, que le principe féodal Nul ne ^ peut être jugé que par ses pairs n'était pas mis en doute, et que la cour des grands vassaux était toujours prête à fonctionner pour juger les différends entre les hauts-barons et leurs suzerains.
C'était en 1 025. Eudes , comte de Chartres et de Blois, ayant grièvement offensé le roi Robert, demande à Richard, duc de Normandie, d'intercéder en sa faveur. Richard se rend aux vœux du comte ; mais le roi répond qu'il ne recevra de la part de ce seigneur ni justification ni proposition d'accommodement. Le comte de Blois écrit alors au roi Robert la lettre suivante :
<i Je veux , seigneur roi , vous dire peu de mots si « vous daignez m'écouter. Le duc Richard de Norman- « die, votre féal, m'a ajourné à comparaître en justice, « ou à entrer en accommodement, touchant les plaintes « ou les demandes que vous formiez contre moi. Pour a ce qui me regarde, j'ai mis tous mes intérêts en ses « mains. Vous avez consenti qu'il m'assignât aii plaid, <( où je pourrais débattre mes intérêts, au temps et au « lieu qui me seraient indiqués. Le jour venu, j'étais « prêt à m'y rendre , quand le duc Richard m'a mandé <( que je pouvais m'épargner la peine d'y comparaître, « parce que vous ne vouliez recevoir de ma part ni « justification, ni accommodement; et il ajoutait que ,
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« puisqu'il serait question d'un jugement à rendre y il « ne pourrait plus rien pour moi, et n'aurait plus de « compétence pour rien décider , sans l'assistance de <( ses pairs, parium suorum. »
Cette expression a un sens qui ne saurait être dou- teux dans la bouche du plus puissant des princes ou grands vassaux de la couronne, qui avait tant contribué, par son influence, à affermir la dynastie nouvelle, encore si peu enracinée dans la France féodale. Les pairs du duc Richard ne pouvaient être que six ou sept princes souverains, relevant comme lui immédiatement du roi.
Le comte de Chartres et de Blois prend ensuite „à regard de la royauté, ce fier langage qui était celui de tous les hauts-barons à cette époque. « Si l'on a égard, « dit-il dans la suite de sa lettre au roi Robert, si ron « a égard à la qualité de ma personne , je suis , Dieu « merci , d'une condition assez relevée pour prétendre « à cet héritage ; si l'on regarde à la qualité du béné- « fice dont vous m'avez investi, il est certain qi^'il n'est « paSv de votre fisc. Je le tiens par droit de succession « de mes ancêtres. »
Cependant, dès que le duc Richard refuse d'être médiateur, et que le comte de Chartres a à redouter un jugement régulier de la cour des pairs, il a recours à la clémence du roi, pour conserver son honneur, auquel il tient plus qu'à la vie.
« Je supplie donc, dit-il en finissant, cette clémence « qui vous est naturelle, quand on n'en arrête pas le « cours, de cesser de m'être contraire et de permettre
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« qu'il soit procédé à un accommodement avec vous « par ^entremise des ofiBciers du palais, ou des prin- ce ces. (ISive per domesticos tuoSy sive per manus « principumj (1). »
On voit, dans cette lettre, que les officiers de la cou- ronne, domestici, sont nettement distingués des grands vassaux, principes. Ce sont évidemment ces derniers Tjui sont considérés comme les pairs du roi de France et du duc de Normandie. Maintenant , quel était le nombre de ces pairs ? C'est là-dessus qu'il peut y avoir incertitude. Suivant l'opinion commune, il y avait , lors de la chute des Carlovingiens , sept princes souverains. L'un d'eux , le duc de France , fut élu roi et reconnu par eux : mais les six autres, en lui prêtant le serment de fidélité féodale, réservèrent leur inviolabilité per- sonnelle et leur liberté individuelle à l'égard du nou- veau monarque ; ils ne lui reconnurent aucune supré- matie judiciaire à leur égard, et dans leurs différends entre eux, pour leurs crimes privés, ainsi que pour la violation de leurs obligations féodales , ils n'acceptè- rent que la juridiction de leurs pairs.
Ces six grands vassaux auraient été le duc d'Aqui- taine et le comte de Toulouse ; le duc de Bourgogne et le duc de Normandie ; le comte de Flandre et le comte de Vermandois. Ce dernier fut remplacé peu après par le comte de Champagne.
(1) Littera Odonis comUis ad Roberlum regem , dans Scriptores rerum francicarum^ tomex, p. 500-501. — Préface de D. Brial , au lome XVII du même ouvrage.
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Que la réserve de la juridiction de leurs pairs ait été, de leur part, explicite ou implicite, peu importe. Elle déri- vait des principes fondamentaux du droit féodal (1). On admettait alors comme un axiome que l'inférieur ne pouvait pas juger le supérieur, que l'on n'était justiciable qae de ses pairs. Pour la perte de ce droit, il aurait fallu une renonciation expresse de la part de ceux qui le possédaient.
Outre six pairs laïques, il y aurait eu aussi six pairs ecclésiastiques. Ces pairs étaient tous pris dans le nord de la France. C'étaient l'archevêque duc de Reims, les évèques ducs de Laon et de Langres, les évêques comtes de Beauvais , de Noyon et de Châlons. Or, trois de ces prélats étaient vassaux de Robert en sa qualité de duc de France, et non en sa qualité de roi. Ils n'avaient pas de rang princier comme les pairs laïques. Ils ne jouissaient pas des mêmes prérogatives et de la même indépendance. On prétend donc que leur adjonction à la cour des pairs eût été une ano- malie.
Mais alors il aurait fallu renoncer à avoir des pairs ecclésiastiques ; car les évêques placés en dehors du duché de France ne relevaient pas directement delà couronne.
D'un autre côté , on désigne comme faisant partie de la haute-cour des pairs d'autres grands seigneurs que
(1) Nullus débet recipere judicium nUi a pari suo, dit Pierre de Fontaine.
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les six électeurs laïques de Hugues Gapet. Cela prou- verait que le nombre des pairs était variable. Mais, quoi qu'il en soit, un grand vassal n'eût jamais reconnu la juridiction d'une curia régis où n'auraient siégé que de simples seigneurs du duché de France. Il aurait pu tenir alors au roi , président d'un tribunal ainsi organisé, ce fier langage que nous empruntons aux assises de Jérusalem^: « Sire, je requiers de vous et de « la cour que vous ne souffriez pas que tels et tels qui ne sont pas mes pairs, ou qui n'ont pas voix dans la cour, y siègent pour me juger et pour prendre con- naissance du fait dont on m'accuse; car je n'entends pas qu'ils puissent juger chose quelconque relative à mon corps, à mon honneur ou à mon fief (1). ^
De plus, la puissance matérielle aurait manqué à un tribunal ainsi composé pour faire exécuter ses arrêts. Qu'on se figure le duc de Bourgogne , le duc d'Aqui- taine ou le duc de Normandie, condamné par une cour où n'auraient siégé que des officiers du roi , des sei- gneurs ou châtelains de ses domaines , des juristes et des clercs des écoles de Paris ou de Reims. Non-seu- lement tout prestige, comme toute légalité, aurait manqué a ce tribunal ; mais quel appui nouveau auraient prêté au roi, pour l'exécution d'un arrêt de condamna- tion , des juges qui lui auraient emprunté à lui-même toute force et toute puissance ? .
(1) Sire, je requiers à vos et à la cort que vos ne soffrés, etc. Voir les Assises de Jérusalem, édition Beugnot, Livre de Jean d'Ybelint tom. I, chap. lxxx^ p. J15.
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128 HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
Au contraire , une cour composée de grands yassanx représentait, en droit comme en fait, la souveraineté collective de la justice et du pouvoir dans la fédération d'états qui formait la monarchie française de cette épo~ que. Les chefs de ces états , en venant exercer leur juridiction de pairs dans la cour du roi , prenaient rengagement de faire respecter l'arrêt auquel ils devaient concourir. Ils lui devaient l'assistance de leurs armes après lui avoir donné celle de leurs avis et de leurs dé- cisions comme juges. On comprenait que derrière la force morale de leurs arrêts était la force matérielle, immense, irrésistible, qui pouvait résulter de leurs efforts réunis et combinés.
Ces procédés judiciaires étaient d'ailleurs en har- monie avec l'idée qu'on se faisait de la royauté , depuis la révolution de 987. « Le roi, dit un chroniqueur de « cette époque , n'a plus du roi que le nom et la « couronne. Il a été choisi et reconnu par les hauts « barons comme une espèce de président suprême , « auquel ils obéissent comme à un roi, du moment que « tous les princes ou grands vassaux ont mis leurs « maim dans la sienne (1). C'est à ce titre seulement « qu'il domine parmi eux; car on ne voudrait pas « qu'il surgît une royauté nouvelle qui rompît ces « rapports et ces prérogatives politiques. Le comte « Guillaume est de nom le soldat du roi, et de fait le
(1) IIU, manibus complicalis cunctls primaUbus, vdul régi suo ser- viunl. C'était la forme du serment de foi et hommage.
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« seigneur de la terre ; et on ne donne ici le nom de « comte qu'à celui qui a les honneurs du comman- « demenl (qui honorem ducis possidet) (1). »
Ainsi, les rois fondateurs delà première race ne sont que les présidents d'une fédération de principautés , et les chefs de ces principautés ne sont justiciables que du tribunal fédéral dont ils sont membres eux-mêmes.
Mais si c'est là incontestablement Tesprit de la nou- velle institution monarchique , s'ensuit-U que ces prin- cipes soient complètement appliqués , et que le conseil et le tribunal des pairs fonctionnent d'une manière régulière auprès et autour du trône ? Rien ne serait moins exact que cette supposition. Ce serait transporter nos idées d'ordre et de périodicité à une époque où tout était désordre, trouble et confusion.
D'ailleurs, les rois , qui étaient fréquemment dans le cas de réunir leur cour particulière de baronnie pour expédier les affaires de leur duché, n'avaient pas le même intérêt àconvoqyer leur cour des pairs. Ils ne se souciaient peut-être pas beaucoup d'appeler auprès d'eux ces brillants souverains d'Aquitaine ou de Bour- gogne, qui, par la splendeur de leur cortège, par le luxe de leurs armures et de leurs équipements, auraient effacé le modeste éclat de la cour des premiers Capé-
(i) Chronique de Dîtmar de Mersburg, lib. v, Scriplores rerum francicarum, t. x, p. 133, ann. 1016. C'est un chroniqueur de Bour- gogne. On peut remar(]tuer le sens particulier dans lequel est compris ce mot honor , soit dans ce ^passage , soit dans la lettre du comie de Blois.
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tiens. D'un autre côté , ces dqcs si indépendants et si honorés dans leurs propres domaines mettaient peu de zèle à se rendre auprès d'un monarque dont il lenr fallait reconnaître la suprématie, au moins à quelques égards, quand ils allaient le trouver au siège de sa puissance. La cour des pairs ne se réunissait donc qbe dans des circonstances graves et exceptionnelles , où les grands vassaux avaient des haines à assouvir, et le roi des vues ambitieuses à satisfaire.
Ces deux conditions se rencontrèrent sous le règne de Philippe-Auguste, quand il fut question dç juger Jean Sans-Terre.
C'est aussi à cette époque qu'il est question , pour la première fois, des douze (1) pairs de France consti- tués en cour criminelle et jugeant solennellement un grand vassal.
Et d'abord, pourquoi ce nombre douze apparaît-il alors pour la première fois?
Voici comment on l'explique :
Au XII* siècle, les traditions carlovingiennes reflea- tirent dans nos romans de chevalerie. L'archevêque Turpin remania les vieilles légendes relatives à Roland
(1) On cite comme un jugement antérieur de la cour des pairs celui qui fut rendu, en 1154, entre Eudes, duc de Bourgogne, et Geoffroy, évêque de Langres. M. Gapefigue le rapporte avec détail à la fin du chap. 1^^ de son Histoire de PhUippe-Âuguste. Le duc di- sait : « Ni moi ni les miens ne sommes astreints à nous présenter en « personne devant la cour, v) L'évéque soutint le contraire et la cour lui donna raison. Mais cette cour n^était pas composée seulement de jmirs ou de grands vassaux.
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et aux douze pairs de Charlemagne. Des romans, la chevalerie et les douze pairs repassèrent dans l'his- toire (1).
Louis VII voulut que les douze pairs du royaume
assistassent au sacre de son fils Philippe-Auguste, pour
«
rehausser l'éclat et la majesté de cette solennité. Les rangs et préséances n'avaient pas été jusque-là bien nettement réglés. Ils le furent par un cérémanial que dressa h cette occasion, d'après les ordres de Louis vu, le cardinal de Champagne, archevêque de Reims, beau- frère de ce monarque, et frère du comte de Cham- pagne (2). D'après ce cérémonial, le roi Henri au court mantel dut tenir devant Philippe la couronne d'or dont on allait ceindre la tète du jeune roi; le comte de Flandre porta la célèbre Joyeuse, cette vieille épée de Charlemagne , chantée par les romanciers. Chacun des six pairs laïques eut son office et son rang marqués. Il en fut de même des six pairs ecclésiastiques. Cependant les chroniqueurs du temps ne donnent pas ces détails officiels que nous a conservés le grand céré- monial de France.
Un grand nombre de barons et de prélats avaient été convoqués au sacre, et quand on revêtit le jeune roi du manteau royal, les hérauts d'armes crièrent par trois
(1) Voir à ce sujet l'excellente dissertation de Dom Brial, à la têle du xvii^ volume de la Collection des historiens de France. On y trou- vera des passages textuels du roman chevaleresque de Turpin.
(2) Cérémonial français , tome i^r , mémoire pour la noblesse de France contrôles ducs et pairs, présenté au duc d'Orléans, régent (Paris, 17ie).
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fois: Venez prendre part à cet acte! On voulait join- dre à l'autorité royale conférée par Fonction sainte celle qui pouvait résulter d'un simulacre d'élection faite par la noblesse et le clergé.
Ainsi , au moment où la pairie semblait se constituer d'une manière définitive, on donnait aux pairs une part symbolique au couronnement du roi, comme pour rap- peler qu'ils avaient eu en réalité la part principale à la nomination de Hugues Capet, duc de France, l'un d'eux, en l'année 987. La théorie de la pairie était qu'en cas de vacance du trône, la royauté résidait en elle jusqu'à ce qu'elle l'eût dévolue à l'un de ses représentants. « C'est là, dit un auteur, une des rai- <( sons de ces habits royaux sous lesquels ils doivent « paraître pour avoir un caractère particulier qui les « rend capables de conférer l'habit royal , de même « qu'il faut être évèque et revêtu des habits épisco- « paux pour conférer le caractère et la puissance « épiscopale (1). »
Quant au tribunal des douze pairs de France, quel- ques historiens presque contemporains et plusieurs publicistes modernes prétendent que, sous le règne de Philippe-Auguste , il s'est réuni et a fonctionné régu- lièrement pour juger et condamner Jean Sans-Terre.
Jean Sans-Terre fut appelé une première fois devant la cour des pairs, pour avoir enlevé une de ses jeunes
(2) Histoire de la pairie , p. 8, par M. B. (Londres, Samuel Gar- ding, 1740).
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et belles vassales , Isabelle d'Angoulême , fiancée au frère de Lusignan, comte de la Marche (1). Comme renlèvement de la fille ou de la femme d'un vassal était un cas de déloyauté, un crime féodal, le comte delà Marche, furieux de ce que^ son seigneur-lige lui avait ravi sa fiancée et allait l'épouser , porta plainte contre lui à leur suzerain commun, Philippe de France, en sa cour des pairs. Deux de ses frères se joignirent à lui dans cette plainte, pour soutenir l'honneur de la maison de Lusignan.
Philippe-Auguste semonça le roi Jean, comme comte d'Anjou et son vassal , de comparaître devant la cour des pairs.
Voici ce que le roi Jean aurait répliqué à cette som- mation :
« Le comte de là Marche et ses frères sont mes vas- « saux immédiats. Ils doivent d'abord comparaître « devant leurs pairs à ma cour ; ce n'est que quand ils « seront jugés , qu'ils pourront en appeler à la cour « supérieure du suzerain. »
On voit que l'idée de l'appel à la cour du roi com- mençait à s'accréditer et à s'établir, même chez les seigneurs les plus puissants.
Au reste , Philippe ne se paya pas de cette espèce d'ajournement; il réclama le droit de faire comparaître directement Jean Sans-Terre devant lui , en invoquant
(1) Rigord, De geslis PhUippi Augusli; Duchesne, l. v, p. 15. Col- Iccthn des historiens de France, t
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sans doute la suspicion légitime qui semblait s'élever contre un tribunal de barons présidé par Jean et placé sous son influence, quand il s'agissait d'une accusation portée contre lui-même.
Pressé par les messages réitérés et pleins d'insistance de Philippe, Jean finit par répondre : « Si bien, je pro- « mets d'aller en droit devant lui. — Et quel gage en « donnerez-vous ? dirent les ambassadeurs de Philippe. « — Je mettrai en vos mains, au jour fixé, les châteaux « de Rosières et de Boutavant. » Au jour fixé, Jean ne voulut ni comparaître , ni remettre ses gages. Alors, Philippe-Auguste alla assiéger les deux châteaux offerts en garantie; il les attaqua avec vigueur et les détruisit de fond en comble. Ces ruines furent comme les monu- ments de la punition d'un manque de foi féodale (1).
Cette assignation ou semonce donnée inutilement à Jean, cette exécution énergique qui suivit le mépris de la semonce, ne furent que les préludes d'une affaire plus grave où Philippe-Auguste vengea la juridiction de la cour des pairs , de nouveau déclinée par l'insolent Anglais. Pour bien faire comprendre cette affaire, il faut exposer avec détail quelques faits historiques qui s'y rattachent.
Depuis l'enlèvement d'Isabelle, la noblesse des pro- vinces françaises relevant de l'Angleterre était devenue très-hostile au roi Jean. Elle s'était groupée autour du
(1) Guillaume Le Breton, Philippéide, chant x. — Capefigue^ Histoire de PhilippeÀugmte, tome ji, p. 293.
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jeune Arthur, duc de Bretagne, qui était fils de Geoffroy, puîné de Henri ii , roi d'Angleterre, et qui , en vertu de son droit de représentation, par suite de la mort de Richard Cœur de Lion, aurait dû avoir k couronne bri- tannique de préférence. à Jean Sans-Terre, le cadet de la famille. Au moins , d'après les lois féodales , on ne pouvait disputer à Arthur la souveraineté des domaines héréditaires des Plantagenet, comme par exemple, TAn- jou et le Poitou ; de plus , il descendait par sa mère , la duchesse Constance , de Conan^ iv ^ et personnifiait ainsi la nationalité bretonne. Ajoutez à cela que ce jeune prince était beau, vaillant, chevaleresque, et qu'il était adoré des barons et chevaliers de ses domaines. Enfin, pour relever encore l'éclat de sa naissance et de ses qualités personnelles, Philippe-Auguste l'avait fiancé à sa fille Marie.
Entraîné par la bouillante têmérili de quelques sei- gneurs impatients de venger contre Jean Sans-Terre des outrages personnels , Arthur consentit , sans avoir encore réuni des forces suffisantes, à aller assiéger Mirebeau , château habité par Eléonore de Guyenne , mère de Jean, et regardée comme la conseillère de ses plus mauvaises actions. Ce château, bien fortifié, et gardé avec vigilance, résista à une première surprise. Le siège traîna en longueur. Jean, averti des dangers de sa mère et de la révolte de ses barons , s'arracha enfin à ses plaisirs et sortit de son inertie. Il se porta avec une petite armée du côté de Mirebeau. Alors , s'il faut en croire le poète Le Breton, son sénéchal , Guillaume
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Desroches, lui dit: « Sire roi, cette nuit même, nous « pourrons surprendre et te livrer tes ennemis , si tu « promets d'épargner leur vie. Jure donc que tu ne feras « de mal à aucun de ces barons, non plus qu'au jeune « Arthur, ton neveu. » Jean prête le serment demandé. « Si j'y manque, ajoute-t-il, que nul de mes vassaux ne « me tienne plus pour son suzerain légitime (1). »
Desroches, à la faveur des ténèbres , tombe , comme il l'avait dit, sur la petite troupe d'Arthur, endormie et sans défense. Ce jeune prince et les chevaliers qui l'accompagnaient sont faits prisonniers et chargés de chaînes pesantes. Jean fait transporter ces derniers dans ses cachots d'Angleterre ; il enferme successivement son neveu à Falaise et dans la vieille tqur de Rouen. Là, il le fait lâchement assassiner.
Cène fut alors qu'un long cri de colère et de ven- geance dans la Bretagne , l'Anjou , le Poitou et la Guyenne. La duchesse Constance, mère d'Arthur , de- manda justice au roi Philippe-Auguste, suzerain de Jean Sans-Terre. Elle et ses barons accusèrent cet indigne monarque de félonie et de forfaiture. Philippe s'em- pressa de convoquer la cour des pairs pour juger régulièrement le crime imputé à son vassal.
Mathieu Paris, chroniqueur presque contemporain, dit formellement que cette cour fut celle des douze grands pairs du royaume (2), sans précisément affirmer
(1) Philippéide^ chant x.
(2) Voir Script, rer. franchi t. xvii, p. 700.
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que les douze pairs convoqués y aient tous assisté en personne.
On a beaucoup contesté Texactitude de ce fait. Ce- pendant il semble, au premier abord , que la simple cour de baronnie de la comté de Paris ou du duché de France n'aurait guère été compétente pour juger un grand vassal tel que le duc de Normandie , roi d'An- gleterre. Il y aurait eu dans une telle cour absence complète des garanties résultant delà qualité des pairs, exigée alors dans les juges d'un accusé. Le duc de Bour- gogne, le comte de Flandre, le comte de Toulouse, le comte de Champagne , vassawx immédiats de la cou- ronne , étaient au contraire dans une position d'impar- tialité et d'indépendance à l'égard de Philippe-Auguste, comme à l'égard du noble accusé. On peut même dire qu'ils avaient un intérêt personnel à ce que le roi de France ne confisquât pas pour (Je légers motifs et sur des preuves insuffisantes les domaines d'un grand vassal. Cette espèce de mutualité n'aurait pas existé entre le puissant duc de Normandie et de simples barons du domaine royal, tels que les sires de Dam- pierre et de Montmorency. Un jugement rendu par eux seuls n'aurait pas été dans l'esprit de la justice du temps.
Or, Philippe-Auguste, qui savait quelles immenses conséquences pouvait avoir la condamnation de Jean pour fait de félonie, n'aurait pas voulu que le jugement de sa cour des pairs prêtât à des reproches d'incom- pétence et d'irrégularité.
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Ainsi, toutes les vraisemblances morales Yienaent appuyer l'assertion de Mathieu Paris.
Mai?, en fait, on présente des objections très-fortes contre la possibilité de la réunion des six grands pairs laïques.
Deux pairies, le duché de Normandie et le duché d'Aquitaine, n'avaient d'aulre représentant que le roi Jean Sans-Terre lui-même.
Le comte de Champagne n'était âgé que de deux ans quand Philippe-Auguste convoqua sa cour, en lâOâ-
Quant au comte de Flandre, il serait parti cette année même pour la croisade, et le comte de Toulouse, allié de Jean Sans-Terre, n'aurait pas consenti à le juger.
Si l'on examine les faits de plus près , on devra reconnaître que le comte de Flandre ne s'est embarqué pour la Terre-Saiiïte, à Venise, que le 8 octobre de cette même année 1202, et qu'il a dû traverser au mois d'août le duché de France : il a donc pu assister en passant au jugement de Jean Sans-Terre, lequel, vu l'absence de l'accusé , n'a pu donner lieu à de longs débats.
Pour ce qui concerne le comte de Toulouse, il est vrai qu'en 1198 il était l'allié de Richard Cœur de I.ion , mais il ne s'ensuit pas qu'il fût l'allié de Jean en 1202. D'ailleurs, il y aurait à examiner si un cas de félonie ou de forfaiture ne romprait pas toute alliance de